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samedi 16 mars 2019

RDV Ancestral : Célestin Boulet, l'homme aussi âgé que son journal


Pour mon deuxième RDV ancestral, je vais usurper l'identité d'un journaliste correspondant du Journal de Saint-Quentin pour aller interviewer mon AAAAGP Pierre François Célestin Boulet qui vivait à Bohain-en-Vermandois en 1913.

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Il fait un temps magnifique en ce mois de juin 1913, le temps idéal pour aller à la rencontre des habitants de la commune de Bohain-en-Vermandois, située dans l'Aisne, à quelques kilomètres de Saint-Quentin. Et c'est justement un très vieux monsieur que le Journal de Saint-Quentin me demande de rencontrer. Pensez donc, il parait qu'il est même né une semaine avant ledit journal ! En 1819, rien que ça ! Bon le généalogiste que je suis est au courant de cela mais pas le journaliste que je suis censé être. Il s'agira de ne pas se faire pincer par son ancêtre !

Il se fait appeler le "Père Boulet", c'est dire s'il est connu notre doyen bohainois; oui, parce que c'est le doyen de la commune, du haut de ses 94 ans. Mais qui est-il donc ? Quelle a été sa vie ? Bien sûr je sais déjà pas mal de choses à son sujet mais je feindrai l'ignorance. Je découvrirai les détails bientôt. On m'a dit que je pourrai le trouver au sortir de l'église. Allons-y donc !

Eglise de Bohain-en-Vermandois avant 14-18 (Source Geneanet)

Me voici donc à l'église de leur paroisse, toute récente d'ailleurs, mais qui, malheureusement, sera détruite à la Grande Guerre. La messe est terminée, les paroissiens sortent, je ne devrais donc pas avoir trop de mal à repérer mon ancêtre, sans doute un homme très vouté avec une canne et portant une longue barbe blanche. Ceci dit, il y a beaucoup de monde; j'oublie que cette commune a près de 7000 habitants à cette époque, donc je prends mon mal en patience et scrute un à un les fidèles de l'église. Finalement je l'aperçois et il est comme je l'imaginais ! Il se déplace lentement du fait de son âge et fait des pauses régulières avant de reprendre sa marche. Il s'arrête une fois de plus et s’assoit sur un banc en pierre. J'en profite donc pour l'aborder muni d'un carnet et d'un crayon. Cela aurait été plus simple avec un smartphone mais nous sommes en 1913 !

- Bonjour Monsieur, puis-je m'asseoir quelques instants auprès de vous, demandé-je sans élever la voix pour éviter de le froisser.
- Mais bien sûr, jeune homme, le banc est à tout le monde !
- Je vous remercie, vous êtes bien Célestin Boulet ? On m'a dit que je vous trouverais ici, je voudrais écrire un article sur vous pour le Journal de Saint-Quentin.
- Ah bon et pourquoi donc ? s'étonne-t-il.
- Eh bien, sauf erreur, le Journal et vous-même auriez le même âge à une semaine près ! Auriez-vous donc quelques minutes à me consacrer ?
- Avec joie ! Il fait beau et j'ai tout le temps devant moi... Je ne savais pas que le Journal était aussi vieux, j'en oubliais mon âge, plaisante-t-il avec un petit air malicieux. Par quoi voudriez-vous commencer ?
- Avez-vous toujours vécu à Bohain (je sais que non mais je dois jouer mon rôle) ?
- Oh non, je suis né à Grougis et j'ai dû y rester une quarantaine d'années je pense - il réfléchit - jusqu'à la naissance de ma dernière fille, Bérénice.

C'est une chance pour son âge, il a l'air de bien entendre et de bien y voir ! Et il ne porte pas de lunettes en permanence. J'enchaîne sur sa famille :

- Vous avez donc une famille, pourriez-vous m'en dire plus ?
- J'ai été marié en effet mais je suis veuf depuis longtemps, j'ai perdu ma chère épouse il y a... 28 ans je crois (en fait 30, en 1883 mais je feins de ne pas le savoir bien entendu). Nous avons eu plusieurs enfants qui sont morts très jeunes mais cinq ont atteint l'âge adulte et ont eu à leur tour des enfants. Mais la vie ne nous a pas toujours gâtés, mes deux filles Joséphine et Bérénice ne sont déjà plus là....

Je m'aperçois que c'est vraiment difficile pour lui de parler de sa famille, ce qui est évidemment compréhensible. Comme je sais également qu'il a perdu une petite fille et une arrière-petite-fille, je passe à ses enfants encore en vie.

- Et vos autres enfants ?
- Ah... Mes fils ! Dieu soit loué ils sont toujours là et en bonne santé. Victor est certes parti loin d'ici, à Rochefort, dans le Sud-Ouest, mais il m'écrit régulièrement. Quant à Désiré et Constant, ils sont encore dans les parages, l'un à Saint-Quentin, l'autre ici-même.
- Et vous avez toujours été en forme comme aujourd'hui ? C'est le service militaire, le travail, qui vous ont apporté votre vigueur apparente ?
- Non, je n'ai jamais connu l'uniforme. Mon père est mort quand j'étais jeune, j'ai dû très vite aider ma mère, mes frères et sœurs. Mais le travail, ah oui ! Vous savez, j'ai commencé très jeune, vers l'âge de 7 ans et je travaillais encore il y a 2 ou 3 ans. J'y allais à pied à l'atelier de tissage, car j'étais tisseur, du haut de la rue de Guise jusqu'au chemin de Prémont ! J'aimais beaucoup mon métier, j'aidais même beaucoup mes compagnons de travail. C'est peut-être ça le secret de ma longévité ! Ou bien le fait que je n'ai jamais fait d'excès, pas de boisson, plus de tabac depuis mes 35 ans, mis à part quelques prises de temps à autre...

La rue de Guise que le père Boulet empruntait à pied (Source Geneanet)


Il apprécie apparemment que je m'intéresse à lui, alors il devient bavard et continue de plus belle :

- Mais je n'ai pas toujours été en forme. Quand j'étais jeune, à Grougis, j'avais très souvent des maux de ventre, c'était même parfois insoutenable, tant et si bien que je mangeais toujours le même repas pour essayer de guérir.
- Que mangiez-vous ?
- De la panade, soit du pain dans du lait, des fois du beurre, tous les jours, à chaque repas, pendant des années.
- Oh que cela devait être monotone, dis-je en m'apercevant trop tard qu'on parle de sa vie dans un petit village au XIXe siècle.
- On pourrait croire cela, Monsieur, mais tout compte fait cela m'a permis de m'en remettre et puis c'est nourrissant. Tout le monde ne mangeait pas à sa faim à cette époque.

Je change de sujet pour oublier ma petite gaffe.

- Et de quoi d'autre vous souvenez-vous de cette époque ?
- Ah jeune homme, beaucoup de choses ont changé depuis ma naissance mais j'ai quelques souvenirs précis de ma jeunesse. Je me souviens de nos rois par exemple. On m'avait parlé de Louis XVIII alors que je n'étais qu'un tout jeune enfant, on disait de lui qu'il était gros alors qu'à l'inverse Charles X était plutôt mince. Après il y a eu Louis-Philippe, l'Empire... Mais vous, vous n'avez pas connu tout ça.
- Non en effet, pour ma part j'ai dû apprendre cela avec les livres mais revenons à votre métier de tisseur quelques instants, en près de 80 ans de carrière (80 ans ! dire qu'à notre époque on se bat pour ne pas dépasser la moitié de ce temps...) vous avez dû en connaître des patrons, vous en souvenez-vous ?
- Quelques uns oui, il y a eu les maisons Laurent, Bouvier, Caron et Tresca où j'ai été monteur, c'est-à-dire que je mettais les métiers de châle en route. Puis mes tous derniers patrons s'appellent M. Mellerio et M. Fossé. Voilà vous savez tout ! Le temps semble se gâter, jeune homme, je crois que je vais rentrer sinon mes vieilles articulations vont en pâtir.

Un peu déçu que cela se termine si vite, je le remercie chaleureusement pour ce moment passé ensemble. Il termine avec un mot d'encouragement pour notre Journal :

- 1919... Le Journal de Saint-Quentin aura cent ans... Espérons-le.
- Je vous le souhaite aussi M. Boulet, je vous reviendrai vous voir à cette occasion !

Malheureusement, en le voyant s'éloigner, mon âme de généalogiste revient à la charge et me rappelle que mon cher ancêtre est décédé le 4 juin 1915, à quelques jours de son 96è anniversaire et en pleine guerre, Bohain n'ayant pas été épargnée par les bombardements.


Pour écrire ce RDV Ancestral, je me suis inspiré de cet article retrouvé sur le site RetroNews : ici 




5 commentaires:

  1. Bravo pour ce RDV. Quelle chance de trouver l'interview d'un ancêtre dans un journal, je suis jalouse ! 😃

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  2. Une belle astuce que celle du journaliste pour rencontrer ce vénérable ancêtre ! J'ai beaucoup aimé cette discussion avec Celestin Boulet !Bravo !

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  3. C'est un vraie chance d'avoir pu t'inspirer d'un article de journal d'époque ! beau RDVAncestral ;)

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  4. Une pépite cet article, et le #RDVAncestral s'imposait pour faire revivre Célestin.

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