samedi 18 mai 2019

RDV Ancestral : Le banc des mémés !

Que c'est bon de quitter la capitale pour se retrouver en région - je n'aime pas dire province car ce mot signifie pays vaincu - loin des misères et des tracas. Cette région, c'est l'ancienne Picardie, faisant maintenant partie des Hauts-de-France, plus précisément l'Aisne, terre de nombreux de mes ancêtres paternels.
Je suis donc à Château-Thierry où ma grand-mère a vécu une partie de son enfance et adolescence avant d'aller travailler à Paris dans ce qui allait s'appeler la SNCF. La commune est aujourd'hui plutôt urbanisée mais largement plus verte que mon environnement francilien habituel si bien que j'ai l'impression de respirer un grand bol d'air pur quand je m'y trouve.
Depuis la gare, je décide de me rendre à pied au cimetière où est inhumée Berthe, la mère de ma grand-mère. Il n'y en a que pour une vingtaine de minutes, je pourrai pendant ce temps voir ce qui a changé depuis ma dernière venue il y a quelques années.

Mais lorsque je sors de l'enceinte de la gare c'est un panorama inédit qui s'offre à ma vue ! Ce qui était goudronné ne l'est plus; les voitures me sont inconnues et je ne vois aucun monospace ou autres SUV ressemblant à des tanks; les gens sont habillées autrement - il y a beaucoup plus de mini-jupes et de costumes trois-pièces ! Il n'y pas à en douter je suis arrivé dans les années 60 ! Je n'ai pourtant pas emprunté le train volant de Emmett "Doc" Brown.

Reprenant mes esprits, je décide de changer mes plans et de trajets. Hé oui ! Ce n'est plus au cimetière que je vais voir Berthe mais directement chez elle car elle vivait encore dans les sixties. Le problème est que mon GPS ne fonctionne plus - forcément ! - et que je ne connais pas la rue des Filoirs, où Berthe habitait. Pas de problème, je vais sûrement croiser tout un tas de monde qui saura m'aider à me repérer.

C'est en avançant sur un chemin jouxtant une zone pavillonnaire que j'entends une voix lointaine qui me parait vaguement familière :

- Allez Gisèle, c'est à ton tour de nous prendre en photo !

Gisèle, comme ma grand-mère, fille unique de Berthe et d'un père qui a refait sa vie ailleurs. Une coïncidence sans doute, ce prénom étant encore assez courant à l'époque. Je décide de me rapprocher de cette voix, bientôt accompagnée par d'autres, je dirais trois. Et soudain, je les vois, toutes les quatre. Je les reconnais toutes bien que je n'en aie connu que deux d'entre elles.

La fameuse Gisèle est bien ma grand-mère. Elle est avec sa mère et Marie Jeanne (Leroy 1892-1988), la cousine germaine de cette dernière, assises sur un banc de pierre. Debout, en face d'elles, il y a Paulette (Coquelet 1918-2002), la fille de Marie-Jeanne, qui tient un appareil photo. Je sais à cet instant en quelle année exacte je suis : 1965, car j'ai les photos issues de cette rencontre entre cousines. Quelle chance j'ai de me retrouver avec elles !

Marie-Jeanne Leroy, dite Mémé Jeanne, 73 ans, Berthe Nique, dite Mémère, 77 ans, et Gisèle Bousse, 51 ans - Collection familiale - 1965.

Marie-Jeanne Leroy, Paulette Coquelet, 47 ans, et Berthe Nique - Collection familiale - 1965


Elles ne me remarquent pas tout de suite alors que j'écoute leur conversation comme un vilain curieux. Je peux déjà affirmer que Mémé Jeanne nourrit bien le cliché de sa profession : elle était concierge à Paris. Elle semble tout savoir sur quiconque ! Paulette n'est d'ailleurs pas en reste et tient bien de sa mère, un vrai moulin à paroles. Je suis moins surpris la concernant : j'avais 22 ans quand elle a quitté ce monde, je l'ai donc très bien connue. Quant à ma grand-mère et mon arrière-grand-mère, elles semblent être plus discrètes mais boivent les mots de leurs cousines avec délectation.

- Oh Berthe, au fait, tu sais qui nous avons vu avec Paulette, hier au Centre Ville ? M. Capelle ! Dit Mémé Jeanne.
- Mon voisin ? Mais il ne sort quasiment jamais sauf pour aller chez le coiffeur.
- Précisément, il y était ! Cela m'a d'ailleurs étonné, vu le peu de cheveux qu'il lui reste, glousse la vieille dame.
- Allons Maman, la reprend Paulette, enfin, ce n'est pas très gentil. Tout le monde l'aime bien M. Capelle, on a eu de la chance de pouvoir le croiser vu qu'on ne vient à Château qu'une fois par mois. D'ailleurs, Gigi, il y avait Margot, tu sais, sa dernière fille. Qu'est ce qu'elle a changé, c'est une adulte maintenant. Elle pourrait rencontrer ton Bernard !
- Ma chère cousine, mon fils travaille à Paris, tu le sais bien, comment pourrait-il passer du temps avec une fille de Château ? Et puis, il n'a même pas dix-huit ans, il a tout son temps, entends-je répondre ma grand-mère au sujet de mon père.

A force de rester planté non loin d'elles, je finis par être repéré par l'aînée des quatre, c'est-à-dire mon arrière-grand-mère, Berthe.

- Bonjour jeune homme, on peut vous aider ? Que faites-vous ici, vous n'avez pas l'air d'être du coin ?
- Je, euh, balbutié-je
- Attends, maman, il me dit quelque chose cet homme, je crois l'avoir déjà aperçu, mais je ne sais plus où ! Non, c'est impossible, je dois me tromper, il devrait être beaucoup plus vieux et pourtant...

Me voilà troublé, m'aurait-elle vu lors de mon premier RDV Ancestral ? Pourquoi pas, il ne faut plus s'étonner. Je me suis déjà retrouvé miraculeusement en 1945 et maintenant en 1965... Pour autant, je ne dois pas révéler mon identité, ce serait un choc pour ma grand-mère, qui ne me connaitra jamais.

- Non, Madame, dis-je finalement, c'est impossible. C'est la première fois que je viens ici. Je viens du Sud de la France. J'allais au cimetière et pour une raison qui m'est inconnue, j'ai été attiré par votre discussion. Pardon pour mon indélicatesse.
- Alors, Monsieur, vous vous êtes égaré ! Le cimetière est dans l'autre sens, répond alors Marie-Jeanne Leroy. Mais, excusez-moi d'être indiscrète, mais sur la tombe de qui allez-vous vous recueillir ?
- Mes grands-parents, Madame, j'ai pas mal de famille dans les environs (dont vous quatre aurais-je envie d'ajouter), je suis axonais pour un quart.

Voyant ma grand-mère me scruter, je décide de me soustraire tant le trouble semble la gagner.

- Mesdames, je vous remercie d'avoir corrigé ma direction, je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps. Je vous souhaite une bonne journée.
- On vous en prie, Monsieur, répond ma cousine Paulette, dommage que vous ne restiez pas, vous auriez pu nous parler de votre famille. Peut-être nous connaissons-nous, Château-Thierry n'est pas si grand.
- Une autre fois peut-être, abrégé-je à la limite de la politesse.
- Nous nous retrouvons souvent ici, vous savez, reprend Berthe, nous aimons cet endroit pour son calme et le banc n'est quasiment jamais occupé. Nous pouvons discuter librement. Enfin pas toujours, dit-elle en appuyant son regard sur moi avec un demi-sourire entendu.
- C'est d'accord, promets-je tout en sachant que l'occasion ne représentera sans doute jamais, 2019 me rappelant soudain à elle.

En effet, je me réveille dans la gare de Château-Thierry, à mon époque. Ai-je rêvé ? Sans doute. Pourtant mon "banc des mémés" semble si réel. Il faut que je retourne voir s'il est encore là. J'aurai peut-être alors une nouvelle fois ce souvenir, qui n'en est pas un, solidement impregné dans ma mémoire.


Les protagonistes de ce RDV Ancestral sont encadrées en noir

4 commentaires:

  1. Tendre bavard et animé ce rendez-vous, on a l'impression d'entendre les papotages de ces dames.

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  2. Un récit qui donne envie d'aller voir si quelques dames ne seraient pas en train de papoter, installées sur ce banc de pierre...

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  3. Merci Renaud pour le récit de cette rencontre ! J'ai une tendresse toute particulière pour ces vieilles photos où l'on retrouve plusieurs générations d'ancêtres. Certains sourient, d'autres non. J'ai en tout cas bien aimé de m'être égaré avec toi !
    Bonne journée et à bientôt !
    Sébastien

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  4. Bonjour Renaud,
    Merci pour cette balade dans le temps, on a vraiment l'impression d'être avec toi, j'adore ton appellation de "banc des mémés" !
    Je découvre ton site grâce à rdvancestral et j'aime beaucoup tes articles, en particulier tes "enquêtes photo" qui m'ont donné des idées. C'est génial que tu es pu obtenir des infos sur la photo de mariage découpée de ton grand-père grâce à Geneanet !
    http://histoiresdancetres.hautetfort.com/

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