samedi 15 juin 2019

RDV Ancestral : mariage à domicile !

Aujourd'hui c'est mariage ! J'ai enfilé mon plus beau costume, le seul en fait, celui que je mets pour les mariages, les enterrements mais aussi pour les entretiens d'embauche. Le temps est au beau fixe pour cette merveilleuse journée dans un cadre idyllique. Les invités sont en effet attendus dans la charmante mairie d'une petite commune poitevine.

Je suis parti en vitesse depuis Paris et j'arrive juste avant l'heure. Tous les invités sont présents, nous attendons qu'on nous donne le signal pour franchir les portes ouvertes de la mairie. Les mariés ne sont pas loin, les témoins non plus, tout est fin prêt.

Le signal enfin donné, nous pouvons nous rendre dans la salle dédiée aux cérémonies de mariage. Je me mets en queue de peloton pour laisser les plus proches passer les premiers. Quand vient enfin mon tour de franchir le seuil de la porte de la salle, un flash se produit soudain ! Je pense à ce moment que des dizaines d'appareils photo sont à l'oeuvre mais il n'en est rien ! Quand j'y vois de nouveau, je me rends compte que je ne suis pas du tout à l'endroit prévu. Ni à l'époque d'ailleurs...

En guise de salle de cérémonie, je me retrouve dans une pièce bien plus petite qui semble être la pièce à vivre d'un petit appartement au rez-de-chaussée. Au fond de celle-ci, au lieu de voir les futurs mariés dans leurs beaux habits, j'en vois d'autres qui me sont parfaitement inconnus et surtout vêtus très pauvrement. Pire, le futur marié - car cela semble quand même être un mariage - n'est pas debout mais allongé dans un lit de fortune avec juste la tête de relevée sur un oreiller de paille. Quant à l'épouse, la forme bien arrondie de son ventre laisse deviner qu'un enfant est en route. Entre eux, je vois une personne que je tiendrais pour le maire. Il semble attendre que tout le monde dans la pièce soit prêt.

Parmi l'assistance je crois deviner la présence de la mère du futur, les parents de la future ainsi que deux petites filles brunes hautes comme trois pommes. Elles doivent avoir entre deux et quatre ans.
Le mobilier a été déplacé pour laisser place aux autres personnes présentes, sans doute les témoins qui sont au nombre de quatre. L'un d'eux ressemble fortement à la future mariée.

Il ne me faut pas longtemps pour deviner où et quand je suis : je suis à Grougis (Aisne) en 1888 ! J'assiste au mariage de mes ancêtres Charles Octave Bernoville (Grougis 1862 - id. 1888) et Célestine Marie Augustine Doyen (Grougis 1861 - id. 1889). Avant leur mariage ils ont eu deux enfants : Narcisse Augustine (Grougis 1884 - Saint-Quentin 1924) et Marie Céline, mon arrière-grand-mère (Grougis 1886 - Paris 1954). Ce sont donc les deux petites filles que j'ai aperçues juste avant ! Cela me fait une drôle d'impression !


CPA de Grougis - 1970 - Collection familiale


Charles et Célestine se marient donc en ce froid jour du 1er février 1888 en leur domicile car Charles est gravement malade. Le mariage y a été autorisé pour cette raison comme cela est indiqué dans l'acte :


Extrait de l'AM de Charles Bernoville avec Célestine Doyen - Grougis 1888 - Source AD Aisne

Je suppose aussi que ce mariage est célébré d'urgence pour pouvoir légitimer les deux petites filles ainsi que le troisième enfant à naître.
Il est à noter qu'aujourd'hui les célébrations de mariages sont toujours possibles à domicile pour ce motif sur demande de dérogation réalisée par le maire auprès du procureur de la république.

Je reviens au mariage de mes ancêtres. C'est en fait l'adjoint au maire, Henri André Dumur, qui officie ce jour. Il fait s'approcher les témoins dont j'entends les noms qui se retrouvent bien sur l'acte qui fut rédigé. Il y a d'abord Donat Potentier, 47 ans, tisseur, Julien Delaby, 60 ans, bimbelotier, amis des époux et Louis Doyen, 25 ans, tisseur, frère de Célestine, et Alfred Beaudier, 54 ans, tisseur, aussi ami des époux. A noter que parmi la population de Grougis, bon nombre de personnes s'adonnent aux métiers du tissage. Notons au passage que hormis l'officiel seuls les témoins et la mariée ont su signer l'acte !

La mère de l'époux, Henriette Octavie Pelletier (Grougis 1831 - Guise 1910) est donc aussi bien présente auprès de son fils tands que Louis Théodore Doyen (Le Sourd 1832 - ap. 1905) et Joséphine Artémise Céline Boulet (Lesquielles-Saint-Germain 1841 - Grougis 1904) assistent et autorisent le mariage de leur fille tout en veillant sur leurs petites-filles.

L'adjoint au maire, les futurs mariés et leurs enfants, les parents et témoins, cela fait pas moins de douze personnes qui se serrent dans cette triste petite pièce. Le reste de la famille doit attendre dehors. Mais moi alors, qui suis dans le fond de la pièce, pourquoi n'a m'a-t-on pas encore remarqué ? Sans doute sont-ils tous trop occupés à garder un oeil sur Charles qui semble mourant. Le spectacle est d'ailleurs bien morne pour un mariage. Cela m'en tire des larmes rien qu'à me remémorer ce qui est advenu de toutes ces personnes.

Mais soudain, quelqu'un me remarque dans ma tenue trop futuriste pour cette époque. C'est Louis, le frère de mon AAGM, il me regarde en me pointant du doigt puis prend la parole, un rien paranoïaque :
- Mais qui êtes-vous, d'où venez-vous ? Êtes-vous là pour vous opposer au mariage ? Que cherchez-vous ? N'essayez de vous approcher de mes nièces, sinon...
Avant que je ne puisse répondre, Charles, l'époux, lui coupe la parole depuis son grabat, la voix quasi inaudible, et lui lance :
- Laissez mon cher futur beau-frère, je sais qui c'est. Sa présence me rassure car je sais à présent que tout cela n'est pas vain. Notre famille survivra et aura une descendance.
Charles me regarde à présent et me sourit péniblement. Mais avant même que je puisse lui rendre son sourire tout s'évanouit et je me retrouve de nouveau auprès de mes amis.

Pour conclure cette histoire, sachez que Charles est malheureusement décédé deux mois après le mariage. Son épouse l'a suivi l'année suivante ainsi que leur troisième enfant Eugène Octave, né deux semaines après le mariage. Je n'ai jamais su la cause de tous ces décès mais je suppose qu'une épidémie - la petite vérole ? - a dû traverser la région à cette époque. Quant à leurs filles, elles ont été élevées par la famille Doyen avant de s'envoler de leurs propres ailes mais ceci est une autre histoire.


Descendance du couple Bernoville x Doyen - Arbre Geneanet