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samedi 20 juillet 2019

RDV Ancestral : une coupe bien courte, s'il vous plaît !

Aujourd'hui, c'est coiffeur ! Il est temps d'en finir avec cette tignasse surtout pour passer l'été un peu moins au chaud. Je traverse donc la rue, non pas pour trouver du travail mais pour retrouver ma coiffeuse habituelle avec qui j'ai pris rendez-vous.
J'entre donc dans le petit salon de coiffure, totalement vide car j'ai obtenu un RDV avant l'heure d'ouverture officielle dudit salon. Ma coiffeuse me désigne le lavabo où m'installer pour le shampooing avant d'aller m'asseoir sur le fauteuil pour la coupe.

Une fois installé je m'attends à ce que la coiffeuse me demande quelle coupe je souhaite ce qui ne tarde pas à venir. Comme il fait très chaud je demande une coupe bien courte. Le travail commence et la discussion si chère aux coiffeurs avec lui. Cela ne va jamais plus loin que la pluie et le beau temps, la famille, les vacances, etc. si bien qu'au bout d'un moment mes yeux se ferment. L'instant d'après c'est une voix d'homme que j'entends !

- Alors Monsieur, on s'assoupit ? Remuez-vous un peu s'il vous plaît, je ne suis pas venu jusqu'ici pour vous regarder dormir.

Je rouvre alors les yeux : ma coiffeuse a disparu ! A sa place se trouve un homme élégant à la chevelure blanche impeccable et avec une barbe à faire rougir tous les hipsters des années 2010. Pas de doute, je suis de nouveau face à un de mes ancêtres. Et des ancêtres coiffeurs, je n'en ai pas légion : Un père et son fils, les deux parfaitement homonymes d'ailleurs. Bizarrement, je suis toujours à mon époque, c'est mon ancêtre qui est venu à moi et non l'inverse comme lors de mes précédents RDV ancestraux.

- Vous êtes Paul Victor Bousse, le père ? présumé-je, son fils étant décédé avant d'avoir les cheveux blancs.
- Vous avez vu juste, mon cher. Alors ils sont comme cela les salons de coiffure à votre époque ? dit-il en balayant les lieux des yeux. Intéressant... Mais je pense que je vais plutôt vous amener au mien !

En un claquement de doigts, je me retrouve dans un autre décor, toujours planté dans mon fauteuil et toujours face à un miroir. Mais exit le 21e siècle, me voilà à la fin du 19e ! Et non plus chez moi mais à Reims, au 31 rue de Saint-Thierry où mon ancêtre et son épouse Adeline Godot tenaient un salon de coiffure.


Reims - 31 rue Saint-Thierry - Photo 2015


- Ça alors, je vois enfin votre lieu de travail, moi qui ai longtemps cherché des photos ou des cartes postales d'époque. Je n'ai retrouvé que celles représentant les ateliers de tissage bombardés durant la première guerre mondiale. Et à mon époque, il n'y a plus rien qui puisse rappeler la vôtre.
- Je comprends, répond tranquillement mon ancêtre coiffeur qui tient des ciseaux à la main, c'est bien pour ça que je vous ai amené ici. Je me suis décidé à venir vous chercher en raison de votre acharnement à tenter de nous retrouver ma femme et moi (voir ici). Tenez, je vous présente Adeline.
- Bonjour Madame, vous êtes mon arrière-arrière-grand-mère ! Dis-je à la non moins élégante épouse de Paul Victor Bousse.
- Bien le bonjour mon cher descendant. Alors où en êtes-vous de vos recherches ? me demande-t-elle avec un léger sourire avant de disparaître dans l'arrière boutique.
- Oh, je fais du surplace en ce moment. Je n'ai plus aucune piste sérieuse.
- Pourtant vous en savez déjà tellement sur nous, reprend le père Bousse, penchez votre tête vers l'avant que je puisse dégager votre nuque, voilà, merci.
- Oui ! Je sais, par exemple, que avez vécu dans de nombreux lieux différents... Vous M. Bousse, vous êtes né en 1857 à Pont-à-Mousson dans le département de la Meurthe. Vous êtes issu d'une famille de Metz. Vous avez ensuite vécu à Lunéville où est décédé votre mère en 1874, avez fait un bref passage à Constantine, en Algérie, où vous vous êtes engagé volontairement au service militaire. Vous étiez déjà coiffeur à cette époque. De retour en Métropole à Verdun puis ensuite à Reims où vous vous êtes marié en 1880 avec Adeline, ici présente, native de Neuflize dans les Ardennes. Reims est la ville où vous avez vécu le plus longtemps, une vingtaine d'années je dirais.
- C'est exact. Nous avons revendu notre salon en 1899 avant de partir dans l'Aisne.
- Oui, un certain M. Delaval a repris le fond de commerce à ce qui me semble.
- C'est ça. C'est vrai que vous en savez des choses sur nous. Relevez la tête s'il vous plaît.


Extrait de la feuille matricule de P.V. Bousse - ANOM (indexée)


Cession fond de commerce Bousse / Delaval - Reims 1899 (AD51)


- Après Reims, vous vous êtes installés à Neufchâtel-sur-Aisne, dans le département voisin donc. Là, j'ignore pendant combien de temps car je perds votre trace après le mariage de votre fils en 1913. Je ne vous retrouve que vers la fin des années 20 auprès de ce dernier aux Pavillons-sous-Bois dans le département de la Seine, aujourd'hui Seine-Saint-Denis.
- Nous sommes restés un certain temps à Neufchâtel. Vous finirez bien par en découvrir la durée exacte, finit-il légèrement narquois.
Las ! J'étais sûr qu'il allait rien me révéler, cela aurait été trop facile.
- En 1931, vous habitez tous ensemble, tous les deux, votre fils, sa seconde épouse Louise Boban et leur fille Yvonne au 163 boulevard Pasteur. Vous exerciez encore comme coiffeur avec votre fils mais cette fois en tant qu'employés dans une ville voisine, Sevran, au 12 avenue de Livry. Votre patron était un certain M. Ouallet.
- Oui ! Je me souviens bien de lui. C'est chez lui que j'ai fini ma carrière, à plus de 70 ans.
- Et vous savez quoi ? A mon époque, il y a toujours un salon de coiffure à cette adresse !


Sevran - 12 avenue de Livry - 2019 (Google Maps - retouchée)

- C'est incroyable en effet mais je suppose que ce n'est pas le seul, conclut mon ancêtre. Il enchaîne : bon, et je suppose que vous savez ce qui nous est arrivé de pire également ?
J'hésite car ce n'est jamais aisé d'évoquer des sujets douloureux :
- Vous êtes sûr de vouloir en parler ?
- Soyez sans crainte. Ce que nous avons vécu est derrière nous. Nous existons de nouveau grâce à vous et vos travaux de mémoire.
- C'est vrai que c'est qu'au cours de mes recherches j'ai souvent été confronté à des épisodes bien tristes. A commencer par le décès en bas âge de trois de votre quatre enfants : Marie Juliette, Ernest Jean-Baptiste et Emile Désiré. Seul Paul Victor a connu la vie adulte. Mais quelle vie ! Il est fait prisonnier par les Allemands lors de la Grande Guerre et reste en captivité durant quatre ans à Darmstadt; il ne voit donc pas naître sa première fille - ma grand-mère. Il divorce à son retour puis se remarie. Il finit sa vie en laissant sa veuve et sa seconde fille sans le sou. C'était en 1942 à l'hôpital parisien de Tenon, il n'avait que 53 ans. Vous avez également perdu votre soeur Charlotte, décédée à l'Hôtel-Dieu de Reims, alors qu'elle avait à peine 40 ans. En fin de compte, il semble que c'est votre soeur aînée Marie Joséphine qui a eu une vie bien plus heureuse.
- Oui tout cela est vrai. Quant à ma soeur aînée, c'est une autre histoire, vous finiriez par ne plus avoir de cheveux du tout si nous décidions d'en parler, n'est-ce pas ? Pour en revenir à ma femme et moi, nous avons eu une vie bien remplie jusqu'à ce que Adeline me quitte. Nous vivions alors au domicile de notre fils aux Pavillons-sous-Bois. C'était à la veille de la nouvelle année 1933. Tout cela aussi vous le savez. Maintenant, je vais m'occuper de votre barbe, voulez-vous ?
- Hé, oui, et cet acte-là, j'ai mis longtemps à le retrouver. C'était une erreur de débutant ! Lorsque je m'étais déplacé dans la commune pour récupérer l'acte du second mariage de votre fils,  je n'ai pas du tout pensé à consulter les registres de dénombrement de population ! C'est grâce à ces documents que j'ai découvert que vous avez fini par vivre chez votre fils et que celui-ci a eu une autre fille avec sa second épouse. Ma grand-mère n'a jamais connu Yvonne,  sa demi-soeur. Personne n'était au courant, ni même mon père. Enfin... Je m'interromps soudainement.
- Oui ?
- Non, rien, je ne peux pas vous demander cela.
- Je devine, cher Monsieur, mon cher descendant, il vous manque un acte. Quand vous le trouverez enfin, cela clôturera l'histoire de ma vie. J'espère simplement que vous ne m'oublierez pas quand vous passerez à autre chose. Voilà ! J'ai terminé, qu'en pensez-vous ?
- Vous aviez raison, si nous avions discuté plus longuement, vous auriez fini par me faire une coupe BIEN courte.


Recensement de 1931 des Pavillons-sous-Bois (source AD93) - l'agent a mélangé les prénoms, dates, et lieux de naissance des 2 familles ! A moins que ce ne fût sous les indications erronées de la petite Yvonne. 

- Qu'est ce que vous dites, Monsieur ? Je viens à peine de commencer, s'étonne ma coiffeuse montrougienne.
Je me rends alors à l'évidence que Paul Victor Bousse a disparu, son salon et ses secrets avec lui.

4 commentaires:

  1. Très bonne idée ce RDVAncestral ! J'ai passé un bon moment de lecture.

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  2. Bavardage détaillé et fort agréable avec Paul Victor aux différents lieux de vie, là encore heureux fil conducteur pour ce #RDVAncestral

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  3. Un coiffeur bien bavard mais qui garde tout de même ses petits secrets ! Tout comme Christelle ce fut en tout cas un bon moment de lecture :)

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  4. Des ancêtres qui s'inquiètent de tes recherches quelle chance !

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