samedi 18 janvier 2020

RDV Ancestral : voyage dans l'au-delà, épisode 1

Le choc a été violent tout comme le sont actuellement les insultes que nous nous échangeons avec l'inconnu. Devant son véhicule accidenté, ce dernier me fait face, les yeux emplis de colère. C'est moi qui, pourtant, devrait être dans son état : il a percuté ma voiture. Tandis que nous nous acharnons à nous qualifier de noms d'oiseaux sur la bande d'arrêt d'urgence de l'autoroute, nos moyens de transports respectifs continuent de fumer, résultat de cet accident qui aurait pu être évité.

Image Pixabay


Soudain, l'inconnu s'arrête de crier. La colère qui avait entièrement gagné son visage cède peu à peu sa place à l'étonnement. Celui-ci m'atteint à mon tour : il y a quelque chose qui cloche. Il fait complètement nuit alors qu'on était en plein jour quand la collision s'est produite ! Devant cette situation incompréhensible, l'inconnu décide de s'enfuir avec sa voiture qui - un miracle ! - roule encore. Je me retrouve alors complètement seul et hébété. Cerise sur le gâteau : je ne vois plus aucune voiture alors que la circulation était dense.

Je retourne alors vers ma Renault pour constater les dégâts mais surtout dans l'espoir qu'elle démarre encore. L'arrière est totalement défoncé mais l'essieu semble intact et les roues ne semblent pas bloquées par l'enfoncement du pare-chocs. Je m'installe donc au volant, malgré le déclenchement de l'airbag, et met le contact. Je constate que la radio fonctionne et que tout semble normal. Enfin pas tout à fait. J'entends un match de football qui est commenté par un journaliste sportif et c'est ce dernier qui pose problème : il s'agit d'Eugène Saccomano. Il est censé être décédé depuis près d'un an ! Bon, je ne m'emballe pas et me dis que cela peut être une rétrospective des meilleurs commentaires du journaliste disparu.

Je décide de reprendre la route vers ma destination initiale, chez ma mère, à Longjumeau. Ce n'est qu'à quelques kilomètres. Sur mon trajet je ne croise absolument aucun véhicule, l'autoroute est déserte et il n'y a pas âme qui vive. Je commence à me poser des questions et le fait de toujours entendre ce cher Eugène à la radio finit par me donner des sueurs froides. Il faut ajouter à cela qu'il n'y a quasi aucune lumière artificielle, je ne suis aidé que par mes phares. Que se passe-t-il ? J'ai eu un accident, il fait subitement nuit, il n'y a personne d'autre que moi et le fuyard quelque part ailleurs et il y a un mort qui parle à la radio. Suis-je encore dans un de ces RDV ancestraux ? Pourtant ces RDV là, je les vis en rêve éveillé d'habitude ! Je vais me pincer pour me réveiller. Non ! Cela ne fonctionne pas.

J'arrive enfin à l'embranchement qui me permet d'accéder à ma commune de destination. J'arrive au feu tricolore et m'engage à droite. Jusque-là, rien d'anormal. Je continue donc sur ma lancée mais cette fois je constate encore qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Quasiment aucune maison n'est éclairée. Le grand laboratoire pharmaceutique implanté depuis des décennies a l'air désaffecté, tout est clos, inaccessible. C'est vraiment de plus en plus bizarre. Je parcours encore quelques rues avant d'arriver dans celle où j'ai vécu durant presque un quart de siècle. Alors que je m'attendais à voir le fameux restaurant marocain à l'entrée de celle-ci, je m'aperçois en fait qu'il est asiatique ! Cela fait pourtant 20 ans que cet établissement a changé de spécialité ! Les autres maisons alentours ont l'air inchangées, ce qui me rassure, mais pas le petit immeuble derrière le restaurant. Il a disparu pour laisser place à la vieille maison qu'on avait démolie il y a bien longtemps. Je ne perds plus de temps, je fonce vers la maison de mes parents.

Arrivé à la hauteur de mon ancienne résidence, je constate avec soulagement que non seulement celle-ci est allumée mais que certaines maisons du voisinage proche le sont également. Ma joie est de courte durée : lesdites maisons n'ont pas l'aspect que je leur connais mais ont l'air plus anciennes. Bon, tant pis. Je me gare, et pour ce faire, j'ai l'embarras du choix, il n'y a quasi aucune voiture hormis celle derrière laquelle je décide de me mettre. Elle a l'air plutôt ancienne. Trop ancienne pour être celle d'un voisin que je connais. C'est avec effroi que je la reconnais finalement. La voiture de Claude, l'ancien voisin d'en face. Ce n'est pas possible, il est décédé il y a dix ans et ne s'en servait déjà plus encore dix ans auparavant. Cela ne s'arrête pas là car la maison habituellement laissée à l'abandon par son fils est actuellement éclairée et de la fumée s'échappe de la cheminée. Pris de panique, je me rue alors vers la maison parentale, prends le soin de sonner avant d'entrer dans le jardin, entends non pas un chien aboyer comme attendu mais plusieurs, et me plante devant la seconde porte d'entrée.

Entrons donc par là...


Quand la porte s'ouvre, je retiens mon souffle avant de m'écrier :

- Maman !
- Est-ce que j'ai l'air d'être ta mère, me réponds alors une silhouette masculine bien familière,
- Papa ? Mais tu, tu, tu es...
- Mort, oui je sais.
- Mais qu'est-ce que tu fais là ?
- Je pourrais te poser la même question...
- Et bien je venais voir maman...
- A ce que je crois, elle est toujours vivante, tu ne risques pas de la voir ici, donc. Allez entre.

A l'intérieur, je retrouve la maison comme elle était quand mon père est décédé. C'était en 2017, donc elle n'a pas beaucoup évolué depuis, si ce n'est un canapé qui a été remplacé et quelques cadres photos qui ont été rajoutés. Cependant, au lieu de voir la chienne de ma mère, ce sont nos deux anciennes chiennes qui se meuvent dans la cuisine. Il y a Diane, qui nous a quittés en 2001, et Sandy emportée par la maladie en 2012. Elles ont l'air maintenant en pleine forme tout comme mon père qui n'a plus du tout l'apparence qu'il avait durant sa maladie. Tout cela est forcément un rêve mais dont le réalisme me fait blêmir. Et si j'étais... décédé ? Non, idioties, je ne serais pas en cet endroit, figé dans le temps.

- Tu as du mal à y croire, c'est ça ?
- Evidemment ! Tu as l'air plus vrai que nature et je n'ai pas l'impression de rêver.
- Viens, on va prendre un verre.
- Je vois que tu n'as pas perdu les mauvaises habitudes.
- Hey ! Je suis mort, je fais ce que je veux. Il me sert un Pastis. Bon, d'abord comment es-tu arrivé ici ?
- J'ai eu un accident de voiture, un abruti m'est rentré dedans.
- Mais tu n'as pas l'air blessé, finit-il assuré, voulant me faire comprendre quelque chose.

Oh oh j'avais oublié d'en parler de ça. Dans le feu de l'action je ne me suis même pas rendu compte que j'étais totalement indemne ! Voilà qui n'arrange en rien mon état. Je décide tout de même de faire bonne figure.

- Tu peux m'expliquer ce qui se passe ici ? C'est le paradis ? L'enfer ? Un niveau de l'Entre Deux Mondes* ? Et d'abord est-ce qu'il arrive de faire jour de temps en temps ?
- Ah non. Pas depuis que je suis revenu ici. Dis donc, on a le temps d'en parler. T'es pas content de me revoir ?
- Si bien sûr. C'est que tout cela est si étrange, j'ai besoin de réponses.
- Je te les donnerai. Enfin on verra. Un autre verre ? Si tu ne finis pas rond comme une queue de pelle alors on pourra dire que tu es comme moi.
- Comment ça ?
- L'alcool n'a aucun effet ici. Heureusement le plaisir reste le même.
- Ton plaisir, tu veux dire.
- Stop les sarcasmes, veux-tu ?

Je le quitte des yeux un moment et regarde autour de moi puis reviens sur ce vieux canapé sur lequel il passait le plus clair de son temps. Mon père, Bernard, est né à la fin de l'été 1947, le 9 septembre. C'était à Aubervilliers, dans le département de la Seine à l'époque, où vivaient ses parents Marcel et Gisèle. Il n'a pas été élevé par ses derniers. En effet, comme la famille vivait dans un petit studio, son père ne voulait pas de lui et a intimé son épouse de l'envoyer chez sa mère dans l'Aisne, à Château-Thierry. Mon père a donc été pris en charge par sa grand-mère maternelle Berthe jusqu'à ses dix ans. Cela laisse des marques. Et il y en a eu, des marques...


Mon père dans sa jeunesse - archive familiale


 Je le regarde de nouveau dans les yeux et reprends le dialogue :

- Bon, puisque nous voilà réunis de nouveau, on va pouvoir peut-être parler un peu.
- Et de me dire tout ce dont tu as été incapable de me dire de mon vivant ?
- J'espère y arriver, dis-je tremblotant. Mais avant, j'aimerais qu'on puisse faire quelque chose ensemble.
- Quoi donc ?

Je réfléchis longuement à ce que je vais dire puis me lance :

- Est-ce qu'on pourrait aller rencontrer tes parents ?



* Lire « La Tour Sombre » de Stephen King.


Par ici pour l'épisode 2

10 commentaires:

  1. Oulala Renaud ton RDV ancestral te fait emprunter des chemins étranges et périlleux ! Hâte de lire la suite des épisodes, j'espère que tout le monde en sortira indemne...

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  2. Quelle entrée en matière ! Bravo Renaud ! J'ai hâte de connaître la suite !

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  3. J’adore les histoires à épisodes. D’autant plus avec cette touche de fantastique.Vivement la suite!

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  4. Un RDV ancestral à épisodes qui promet beaucoup d'intimité père/fils ... Hâte de lire la suite 😊

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  5. Quelle émouvante entrée en matière. Courage pour l'écriture de la suite !

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  6. Originale mise en bouche, à suivre donc

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  7. Nous allons donc attendre impatiemment la croissance de cet arbre généalogique très animé.

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  8. Très belle photo ! Cet enfant - et son histoire - me font penser au héros des 400 coups, Antoine Doinel, qui dormait dans un placard ; mais là c'est pire. Effectivement cela doit marquer terriblement d'être envoyé chez sa grand-mère par manque de place, c'est terrible.
    En tout cas, ce début donne terriblement envie de connaître la suite.

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  9. Waouh ! Quelle entrée en matière ! Vivement la suite...

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  10. Sacré début de voyage dans un monde parallèle. Vivement la suite !

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