samedi 16 mai 2020

RDV Ancestral : voyage dans l'au-delà, épisode 4

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Résumé des épisodes précédents : j'ai eu un accident de voiture sur l'autoroute en allant chez ma mère à Longjumeau. Miraculeusement indemnes, l'autre conducteur et moi-même constatons rapidement qu'il y a un problème : le monde s'est brutalement obscurci alors que nous étions en plein jour. J'ai quand même poursuivi mon chemin avec ma voiture accidentée, constatant avec effroi qu'il n'y avait pas âme qui vive autour de moi. 
Arrivé sur place, ce n'est pas ma mère que j'ai retrouvée mais mon père pourtant décédé depuis près de 3 ans. Il m'a alors raconté que j'étais comme lui : mort, ce que je ne voulais pas croire malgré des arguments de taille : sa présence ici bas, l'étrange apparence du monde, ses interactions avec les voisins eux aussi décédés... 
Je ne me suis alors pas démonté et lui ai demandé d'aller rencontrer ses parents à Aubervilliers ce qu'il a accepté. Une fois arrivés, j'ai découvert une règle aussi étrange que le monde dans lequel j'ai atterri : je ne pouvais voir que les personnes que j'ai connus de mon vivant ! Impossible donc de discuter autrement que par intermédiaires avec ma grand-mère décédée 10 ans avant ma naissance. J'ai donc laissé mon père s'entretenir avec elle et ai tenté de relater la seconde guerre mondiale avec mon aïeul qui a été requis du STO puis résistant après son évasion de Berlin. Si j'ai pu prouver la véracité des faits concernant le STO, il n'en est rien pour le reste et mon grand-père Marcel n'a rien voulu me révéler à ce sujet. 
Devant cet échec j'ai décidé de laisser mon père Bernard avec ses parents puis ai repris la route en direction du quartier de la tour Montparnasse de Paris pour y rencontrer la cousine de ma grand-mère, Paulette, que je considérais comme une aïeule de subsitution. Bavarde de son vivant, je me suis dit qu'elle m'en raconterait beaucoup au sujet ma grand-mère et surtout de son père dont le visage m'a toujours été inconnu. 
Cela a été un nouvel échec ! Au lieu de Paulette, c'est sa mère que j'ai retrouvée, et, alors que nous discutions généalogie, nous avons été interrompus par une invitée surprise...


Les protagonistes jusqu'ici.



- Oh ! Jeanne-Marie, c'est bien toi ? Demande donc « Mémé Jeanne » , en pleurs, à la personne invisible qui se trouve devant elle. 

Un sourire se dessine enfin sur son visage, signifiant que la réponse est positive, mais les larmes coulent toujours sur ses joues. Cela ne m'étonne absolument pas : sa fille aînée avait coupé les ponts avec elle et sa soeur aux environs de la seconde guerre mondiale sans donner aucune explication. Elle n'avait plus jamais donné signe de vie depuis lors. Pas une lettre, pas même un coup de téléphone, rien.
Le pire dans tout cela, c'est que la nonagénaire n'a finalement jamais su qu'elle avait survécu à sa fille : Jeanne-Marie Coquelet, née à Saint-Quentin (Aisne) en 1910, est décédée 10 ans avant sa mère, en 1978 au Cateau-Cambrésis (Nord).

Je ne sais pas si l'heure est à réconciliation pour elles mais toujours est-il que Jeanne-Marie a mis plus de 40 ans pour retrouver sa mère. C'est signe d'une certaine volonté à recoller les morceaux. Peut-être me trompé-je après tout : dans cette espèce de Dark City* tout le monde m'a dit que le temps ne défile pas de la même façon que chez les vivants.

Comme cette histoire de famille ne me regarde en rien, je décide de tourner les talons non sans avoir dit au revoir à ma vieille cousine qui regrette presque mon départ. Alors que je m'apprête à franchir le pas de la porte, j'aperçois une autre personne arriver à mon encontre : c'est une vieille dame aux cheveux blancs que je reconnais sans peine, Paulette ! Quelle coïncidence, je me retrouve avec presque toute la famille, le père faisant manifestement toujours défaut.


Jeanne-Marie et Paulette Coquelet. Au milieu, probablement Louis Raffin, premier mari de Jeanne-Marie. Avant années 40 - archive familiale

- Oh, Renaud ! Je ne m'attendais pas à te voir ici ! Tu n'as pas beaucoup changé ! Cela veut dire que...
- Oui, bon, ça va, ça devient récurrent, là. Oui, je me retrouve ici à même pas 40 ans. Mais entre donc, apparemment ta soeur est là aussi.

Ce que je n'ai pas dit là ! Le visage de Paulette s'assombrit aussitôt et ne laisse plus transparaître que de la colère. Même ses yeux bleus que j'ai toujours connus pétillants ne forment plus qu'un amas oculaire torve. 

- Bon je vais peut-être vous laisser entre vous, hein...
- Reste ici, me répond Paulette d'un ton sec, c'est elle qui va s'en aller sur-le-champ.
- Mais si elle est venue ici, c'est bien parce qu'elle a envie de se faire pardonner quelque chose, non ?
- Elle aurait dû le faire de son vivant ! Maman n'a même pas su qu'elle était morte, c'est moi qui ai dû le lui dire quand je suis arrivée ici. Tu te rends compte ? Elle a eu quatre enfants et je n'ai connu que l'aîné. Et encore, il avait 12 ans la dernière fois que je l'ai vu. Après, plus rien.

Le sourire de « Mémé Jeanne » a disparu. Cette dernière est désormais totalement effacée, comme absente, résignée, tandis que Paulette ne décolère pas. Pendant ce temps, je ressens comme un souffle qui me frôle avant de s'échapper par la porte d'entrée, la claquant derrière lui. Je comprends que Jeanne-Marie est partie.

- Voilà, c'est réglé, dit Paulette, satisfaite.
- Qu'a-t-elle dit ? tenté-je alors.
- Elle a dit qu'elle regrettait, me répond leur mère, revenue à elle. J'espère qu'elle reviendra, tu as été dure, Paulette.
- Non, je suis déçue, comme une soeur peut l'être au bout de tant d'années. Tu es bien trop indulgente, maman.
- Vous vous entendiez si bien pourtant, avant qu'elle ne s'en aille... 

Sur ce point-ci, Marie-Jeanne Leroy n'a pas vraiment tort. J'en veux pour preuve toutes ces photos où les deux soeurs sont radieuses. Voilà encore un mystère que ne sera pas résolu : les raisons de cette brouille.


Les deux soeurs avec un homme que je n'ai pas encore identifié avec certitude. Peut-être le mari de Paulette, ce qui daterait la photo aux alentours de 1938 - Archive familiale.

Paulette, après avoir étreint sa mère, revient vers moi :

- Bon, et sinon, pourquoi es-tu venu ici ? Cela me fait plaisir de te voir.

Je lui explique alors mon périple depuis mon accident de voiture et finit par revenir sur le père de ma grand-mère : Paul Victor Bousse, seul AAGP de mes filles dont je ne connais pas le visage.

- Le père Bousse ? Maman ne t'a pas dit qu'il n'en valait pas le coup, si ? Et puis, tu sais bien qu'ici tu ne peux réellement voir que les gens que tu as connu de ton vivant. Tu ne seras pas plus avancé si tu le retrouves... En plus tu auras besoin de Berthe, ton arrière-grand-mère et par conséquent quelqu'un qui l'a connue elle aussi.
- Je suis curieux, ma chère cousine. Ne voudrais-tu pas venir avec moi à Château-Thierry pour la retrouver ? Pour l'instant je laisse mon père avec ses parents mais on pourra les retrouver plus tard, qu'en dis-tu ?

Paulette réfléchit, regarde sa mère qui lui fait un signe approbateur, puis revient vers moi, de nouveau souriante :
- C'est d'accord mais on emmène maman ! Nous serons ravies de revoir notre chère cousine.

Tiens, ça me rappelle un certain RDV ancestral...


* Dark City : film réalisé par Alex Proyas, sorti en 1998.


5 commentaires:

  1. Génial ! Un passage dans l'au-delà pour recoller les morceaux ?

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  2. Époustouflant #RDVAncestral dans la verve des précédents épisodes.

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  3. Super ! Hâte de faire le voyage jusqu'à Château-Thierry.

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  4. L'enquête révèle tant de non-dits que ce RDVAncestral voudrait réparer

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