samedi 6 juin 2020

Enquête photo #9 : ne jamais négliger les collatéraux

Voici une photo qui me vient de ma famille paternelle. Il s'agit d'une photo-carte postale sans aucune inscription au verso, bien évidemment, si ce n'est que l'éditeur se trouve à Paris. Autrement ce présent billet n'existerait pas. Etant donné sa datation présumée - autour de la première guerre mondiale - je suppose qu'elle a appartenu à mes arrières-grands-parents Joseph Bourdin-Grimaud (1881-1927) et Marie Céline Bernoville (1886-1954).


Un couple et leurs trois enfants ? - Archive familiale


Bien que n'étant pas physionomiste, une première chose m'a frappé : le regard de la plus jeune fille et les traits de sa supposée soeur aînée. Ils m'ont tout de suite fait penser à mon arrière-grand-mère que voici, à l'âge de 45 ans :


Marie Céline Bernoville en 1931 - Archive familiale


Cependant, ma bisaïeule ne peut pas être sur cette photo : d'une part à l'époque de cette photo, elle était déjà mariée et mère de famille, d'autre part elle s'est retrouvée orpheline de père et mère à l'âge de 3 ans. Ce sont ses grands-parents maternels qui l'ont élevée. C'est là que c'est intéressant : sa mère avait de nombreux frères et soeurs. C'est donc sur eux que va s'appuyer cette présente enquête.


Généalogie simplifiée de Marie Céline Bernoville


Marie Céline est née Doyen le 31 juillet 1886 à Grougis (Aisne) de Célestine Marie Augustine Doyen et d'un père inconnu. Elle a une soeur, Narcisse Augustine, née deux ans plus tôt. Cette dernière est décédée en 1924 sans postérité. En 1888, sa mère épouse Charles Octave Bernoville. Ils légitiment ainsi leurs deux filles. Malheureusement le mariage sera de courte durée : Charles décède deux mois plus tard. Célestine le rejoindra l'année suivante peu de temps après avoir mis au monde un troisième enfant qui ne survivra pas longtemps. Cette triste histoire a été contée lors d'un RDV Ancestral.

Orphelines donc, Marie et Augustine sont élevées par les grands-parents maternels : Louis Théodore Doyen (1832-ap.1905) et Joséphine Arthémise Céline Boulet (1841-1904) : ce ne peut être eux sur la photo.
Marie a ensuite quitté l'Aisne pour rejoindre Paris et y faire sa vie.

Quid alors du reste de la fratrie de Célestine ? Etudions-les dans l'ordre chronologique de leur naissance, sachant que Célestine, née en 1861, était l'aînée.


Louis Eugène Doyen (1863-1902)


Il n'est guère pertinent de s'étendre sur Louis Doyen : il est décédé à Paris en 1902, bien avant la prise de cette photo. Cela étant nous pourrions nous attarder sur sa famille et sur la fiche matricule de Louis pour connaître son signalement.
Pour ce dernier point, c'est vite vu : il n'existe pas de fiche matricule; il a sans doute tiré le bon numéro et n'a donc pas fait son service.
Côté famille : c'est l'anarchie. Il a eu cinq enfants, dans le désordre, de trois mères différentes, dont une qu'il n'a pas épousée. Quand je dis dans le désordre, voyez plutôt : il a eu son premier enfant avec sa deuxième épouse, son deuxième avec sa première relation, son troisième avec première épouse et les deux derniers de nouveau avec sa deuxième épouse. De quoi faire des noeuds au cerveau.
Seuls trois enfants ont survécu et ce n'était que des garçons. Deux des mères sont décédées avant 1900 et la dernière en 1908.
Cette famille n'est donc pas la bonne candidate à l'identification de la photo ancienne.


Jules Arsène Doyen (1870-1942)


Arsène, manouvrier de métier, se marie en 1896, toujours à Grougis, avec Fromentine Marie Rose Potentier (1871-ap.1936). Ensemble, ils auront trois enfants :
  • Anna Arsène Amélie, née en 1897 à Bergues-sur-Sambre. Elle épousera un belge de 20 ans son aîné en 1936 à Paris.
  • Arsène Donat Louis, né en 1899 à Bergues-sur-Sambre et décédé en 1993 à Guise. Marié, au moins un enfant. Dommage que nous ne l'eussions pas connu.
  • Léonie Louise Marie, née en 1904 à Fesmy-le-Sart et décédée en 1935 à Monceau-sur-Oise. Mariée, deux enfants.
Un couple, un fils, deux filles, comme sur la photo. La plus jeune pourrait-elle être Léonie, née en 1904 ? Mon plus gros problème avec les photos anciennes, c'est de pouvoir donner un âge aux personnes. Si on admet que c'est Léonie et qu'on lui donne 12 ans, est-ce que la soeur aînée peut en avoir 19 et le jeune homme seulement 17 ?

Pour aller plus loin avec cette famille, voyons la fiche matricule du père et celle du fils, notamment leur signalement et leurs adresses successives.

La FM d'Arsène père


Signalement d'Arsène Doyen - FM AD02


On retrouve deux informations intéressantes : il était brun aux yeux noirs et avait un nez épaté donc gros et large. Si on regarde plus près le père de famille, cela pourrait correspondre. Seul hic : la taille. 1 mètre 56 d'après la FM. Comment peut-on évaluer la taille des gens à partir d'une photo ? C'est encore plus difficile lorsqu'on ne voit pas les jambes.



Adresses successives d'Arsène Doyen - FM AD02


Autre détail intéressant : la dernière indiquée, à Paris, en 1915. Cela nous laisse penser qu'Arsène Doyen a fréquenté sa nièce qui vivait à cette époque à Pantin. C'est d'ailleurs grâce à cette information que j'ai su que la FM d'Arsène fils se trouve aux AD de Paris.
Enfin, il semble qu'il n'a pas combattu durant la première guerre mondiale car il a été en sursis d'appel au moins jusqu'en juillet 1917. En effet il a été détâché à une certaine maison Lescarts à Paris durant le conflit.


La FM d'Arsène fils


Signalement d'Arsène fils - FM AD75


Ici, le signalement ne nous aide pas beaucoup, si ce n'est la taille : 2 cm de plus que son père. Sur la photo, on peut effectivement voir que le jeune homme paraît très légèrement plus grand que son aîné.

Il faut noter par ailleurs qu'Arsène fils a été incorporé le 15 avril 1918 et renvoyé dans ses foyers le 21 mars 1921. Si c'est bien cette famille qui est sur la photo, cette dernière ne peut pas avoir été prise en 1921 : Léonie avait 17 ans. Il faut donc qu'elle date d'avant son incorporation, donc qu'Arsène ait maximum 19 ans et Léonie 14. Mettons que la photo ait été prise en 1917 : au niveau de l'âge, ça nous donne 47 et 46 ans pour les parents, 13 ans pour Léonie, 18 pour Arsène et 20 pour Anna. Est-ce bien possible ?
Notons enfin que la mère porte une robe de demi-deuil. Il faudrait que je regarde si Fromentine Potentier a connu des décès quelques années en arrière parmi ses proches.

Avec tous ces indices, je pense néanmoins que nous tenons une bonne famille candidate !


Dulcinée Doyen (1873-?)


Dulcinée s'est mariée à Saint-Quentin en 1893 avec Paul Danjou (1869-av.1934). Je leur connais deux enfants sûrs, nés à Saint-Quentin :
  • Pauline (1892-1982)
  • Eloi Ernest (1895-1970)
Mais d'après les recensements de 1906 de la ville de Pantin où la famille a habité très brièvement, non loin de chez ma bisaïeule, il y avait deux autres enfants : Louis, né en 1896 et Aimable, né en 1899. Le problème est qu'à ce jour je n'ai retrouvé aucun acte les concernant !

A supposer qu'il ne s'agisse pas d'une erreur de l'agent recenseur, il y a tout de même un problème de correspondance :
  • Soit il y avait bien quatre enfants : trois fils et une fille alors qu'il y a deux filles sur la photo.
  • Soit il n'y en avait que deux : il y en a une de plus sur la photo ou bien c'est un cousine.
  • Dans tous les cas : il y a un problème avec l'âge de la plus jeune fille.

Emile Ernest Doyen (1875-?)


Nous arrivons à des dates de naissances où cela commence à faire trop jeune pour être l'homme le plus âgé de la photo.
Le cas d'Ernest Doyen est cependant rapide à analyser : bien qu'il fût témoin au mariage de mes arrières-grands-parents, il ne s'est jamais marié et a été exempté du service militaire en raison de sa petite taille (1 mètre 45) et d'un problème de colonne vertébrale.
Conclusion : impossible qu'il soit présent sur cette photo.


Eugène Doyen (1879-1946)


Eugène Doyen se marie en 1905 avec Marie Mennechet à Saint-Quentin, commune qu'ils ne quitteront quasi jamais. Ensemble, ils ont eu trois enfants, un fils et deux filles, respectivement en 1903, 1908 et 1919 donc beaucoup trop tard pour que ce soit cette famille sur la photo.


Marthe Doyen (1881-1970)


Elle, c'est facile, mon père l'a connue âgée et je corresponds régulièrement avec son arrière-petite-fille. Je connais son visage et celui de ses enfants. Elle n'avait que 5 ans de plus que sa nièce ce qui fait qu'elles étaient très proches. Voici une photo d'elle, jeune, avec Marie Bernoville et mon grand-père. 


Marthe Doyen, Marie Bernoville et mon grand-père Marcel - Archive familiale


Marie-Louise Doyen (1884-1959)


Grâce à ma cousine évoquée ci-avant, je connais aussi son visage. De toutes façons, elle a eu six enfants avec son mari Théodat Dégremont entre 1901 et 1909. Le couple et leurs enfants sont nés bien trop tard pour être sur cette photo.


Marie-Louise Doyen - Archive C.Mourotte


Les autres branches


Il n'est pas obligatoire de se focaliser uniquement sur la famille qui a élevé mon arrière-grand-mère. Après tout, cette photo pourrait très bien provenir d'une des autres branches : Les Bernoville ou les Bourdin-Grimaud. Cependant, ces pistes-là sont vite écartées :

  • Coté Bernoville : bien que Marie Céline Bernoville fût domiciliée chez son aïeule paternelle, Henriette Pelletier veuve Bernoville, au moment de son mariage, elle n'a a priori jamais fréquenté les frères de son père, tous restés dans l'Aisne jusqu'à leur décès.

  • Coté Bourdin-Grimaud : mon arrière-grand-père n'avait qu'un frère, Victor, qui n'a eu que deux enfants survivants, a été mobilisé durant toute la guerre et a divorcé en 1920.

Conclusion


Pour moi, la famille d'Arsène Doyen semble être celle qui est représentée sur cette photo. Rappelons les indices suivants :
  • Les filles ont des airs de famille;
  • Arsène Doyen a bien eu en tout et pour tout deux filles et un fils;
  • Arsène Doyen père n'a pas été mobilisé alors qu'Arsène fils ne l'a été qu'à partir de 1918;
  • Les signalements semblent correspondre aux deux hommes.
Seule zone d'ombre restante à mes yeux : l'âge du fils et de la dernière fille.

Alors, qu'en pensez-vous ?

3 commentaires:

  1. Ton enquête se tient bien Renaud, je trouve que tu arrives sur une conclusion cohérente. Et c'est très bien expliqué !

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  2. Quelle enquête ....... Ta conclusion me semble cohérente, tu n'as pas de photos de groupe - mariage ou autres - pour confirmer ca ?

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    1. Malheureusement, non. J'aurais bien aimé avoir une photo de groupe du mariage car de présents, il y avait le grand-père de mon AGM, un oncle et une tante, au moins.

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