samedi 19 septembre 2020

RDV Ancestral : voyage dans l'au-delà, épisode 6

Si vous avez raté le cinquième épisode, c'est par ici !


Résumé des épisodes précédents : je suis dans l'au-delà ! Mort ou bien quoi ? Quoi qu'il en soit, avec ma voiture aussi indemne que moi, j'en profite pour revoir mes proches décédés avant moi : d'abord mon père à Longjumeau puis son père et sa mère à Aubervilliers. Premier problème : je ne peux pas voir ma grand-mère, passée de l'autre côté dix ans avant ma naissance. Après avoir brièvement discuté avec le mur qu'est mon grand-père au sujet de son implication dans la Résistance, je décide de laisser mon père auprès de ses parents et reprend ma route vers Paris Montparnasse, chez ma cousine éloignée, Paulette. Là j'y retrouve d'abord sa mère, Mémé Jeanne, seule personne née au 19e siècle que j'ai connue. Ensuite sa première fille Marie-Jeanne, qui m'est invisible, et enfin Paulette. La discussion de famille n'est qu'une digression de ma quête et se termine par le départ précipitée de la fille âinée. J'emmène alors ma cousine et sa mère à Château-Thierry, chez Berthe, mon arrière-grand-mère, cousine germaine de Mémé Jeanne. Mon but est tout trouvé : retrouver cet arrière-grand-père dont je ne connais pas le visage, l'ex époux de Berthe, Paul Victor Bousse. Mais sans l'aide de Berthe, c'est impossible. Et pour avoir l'aide de Berthe, il me faut l'aide des cousines toujours à cause de ce point bloquant : l'invisibilité des personnes que je n'ai pas connues de leur vivant. Après force persuasion, Berthe est d'accord pour nous accompagner, ainsi que sa soeur Jeannette. Je reprends donc mon road-trip en compagnie de quatre octogénaires afin de réunir tout le monde à Aubervilliers. Que cela va-t-il donner ?



Mes 4 accompagnatrices : Berthe, Jeannette, Paulette et Jeanne



Moyenne d'âge dans la voiture ? 75 ans ! je fais office de petit jeune avec mes presque 40 ans. Mémé Jeanne en avait 96 lors de son décès en 1988, Paulette 83 ans en 2002 tandis que Berthe et sa soeur Jeannette en comptaient 80 toutes les deux lorsqu'elles sont parties respectivement en 1969 et 1979. Paulette est à l'avant avec moi alors que sa mère est à l'arrière pour tenir la discussion avec ses cousines germaines. Enfin, pour moi, elle parle dans le vide. Quelle curieuse situation de ne pouvoir apercevoir ces défuntes parties avant ma naissance, on se croirait dans un roman de H.G. Welles* ! Je lance alors à Paulette :

- Dis donc Paulette, n'avez-vous jamais essayé de trouver un moyen de voir les invisibles ?
- Mais non, cela ne nous est jamais venu à l'esprit, me répond-elle.
- Pourquoi donc ? Je crois me souvenir que tu n'as connu qu'une seule grand-mère.
- Je recherche déjà mon père, comme tu sais, et j'ai l'impression qu'il va me falloir des siècles ! Alors mes grands-parents... D'ailleurs sa mère, qui est morte après lui, je n'ai même pas commencée à la chercher. Bref ! 
- Donc on va continuer à devoir communiquer de cette façon ? C'est frustrant de ne pas pouvoir parler directement à Berthe et Jeannette.
- Elles pensent la même chose maintenant que tu es là, me crie sa mère depuis l'arrière de la voiture. Avant ton arrivée, elles étaient comme Paulette et moi : ça ne leur a pas trop traversé l'esprit. Elles ont vite retrouvé leurs maris et leurs parents.
- Ok, admets-je, mais Giselle alors ?
- Berthe dit qu'elle a été très bouleversée quand Jeannette lui a appris le décès de sa fille seulement un an après elle, me répond Paulette, et quand elle a enfin fait son deuil, elle a réalisé que c'était trop compliqué d'aller à Aubervilliers sans moyen de locomotion. A présent tu es là et elle est finalement ravie de s'être laissée convaincre de t'aider.

Le trajet est encore long jusqu'à Aubervilliers alors je me permets cette digression quand je reprends la parole à l'intention de Jeanne :
- Pourriez-vous demander à Jeannette si elle a évoqué la malédiction du 19 avril à Berthe ?
- Tu crois que c'est le moment de parler de cela ? me répond Jeannette par l'intermédiaire de Jeanne. Ma soeur a été très peinée par cette terrible nouvelle, même ici. Toutes mortes que nous sommes, nous ne pouvons pas accepter que nos proches nous rejoignent de si bonne heure. Pour répondre à ta question, oui, elle sait. Pas besoin d'en rajouter.

La malédiction du 19 avril, c'est en tout cas comme ça que je l'appelle. Mon arrière-grand-mère Berthe est décédée le 19 avril 1969, probablement de vieillesse mais elle était aussi atteinte d'une forme de cancer. Ma grand-mère Giselle est décédée un an plus tard, jour pour jour, d'un cancer inopérable. Depuis, Jeannette, soeur de Berthe et tante de Giselle, avait une peur bleue de s'en aller à son tour à cette cruelle date. C'est finalement arrivé en août 1979. Exit, le syndrôme de l'anniversaire. Ironie du sort, j'ai été baptisé un 19 avril, lors du 50e anniversaire de mariage de mes autres grands-parents. 

Je chasse vite ces deuils de mon esprit pour revenir au premier sujet : les invisibles. Il me faut trouver un moyen de communiquer avec eux. Après tout, dans cette réalité parallèle, cet au-delà, cet enfer, quel que soit le nom qu'on puisse lui donner, les lois de la physique sont différentes. Il doit exister une solution à mon problème !

- Mesdames, ce n'est pas tout ça mais il faudrait qu'on réussisse à rendre visible les personnes qui ne me le sont pas. Et avant qu'on arrive à Aubervillers, si possible.
- Franchement, je n'ai pas d'idée, soupire Paulette.
- Moi non plus, fait sa mère en écho, j'ai demandé aux cousines mais elles restent muettes.
- Bon, déjà, elles ont bien réussi à rentrer dans ma voiture. Moi, je ne vois pas les bâtiments anciens, mais pour vous, ma Scenic ne semble avoir aucun secret ! finis-je, presque emporté.
- Scenic ? Qu'est-ce que c'est ? me questionne Jeanne, incrédule.
- Bah, c'est ma voiture. Le modèle.
- C'est curieux, reprend la vieille dame, mais pour moi nous sommes dans une R11; j'en voyais pas mal à mon époque, à Paris, enfin avant que je reste clouée sur mon fauteuil.
- Hein ?
- Ah ? Moi j'avais cru voir écrit Laguna à l'arrière, continue Paulette, et vous les cousines ?
- Berthe n'y connaît rien, elle n'a jamais eu de voiture, mais elle a clairement vu une Renault 16 tandis que pour Jeannette, nous sommes dans une R18.


De la R16 de 1965 à la Scénic de 2015. Bon, on ne va pas faire la généalogie de la marque Renault, non plus...


Je suis sidéré ! Même les objets ont l'air de s'adapter à l'époque vécue par mes ancêtres et collatérales ! Je ne suis pas sorti des ronces ! Bon, je vais mettre la radio, on va bien voir leur réaction. C'est encore du foot mais cette fois, ce n'est pas Eugène Saccomano qui est aux commentaires mais Guy Kédia, ancien journaliste sportif, disparu en 2016. 

- Oh Renaud, tu n'as pas autre chose que du sport ? s'exclame Paulette.
- Ah, tu entends la même chose que moi alors ? Et Mémé Jeanne ?
- Comme Paulette, on dirait du sport.

Je ne m'emballe pas de trop car Guy Kédia a été journaliste sportif dès la fin des années 70 donc même Jeannette pourrait le reconnaître. Ce n'est pas la peine de leur demander de me décrire le match qui est commenté : elles n'y connaissent rien. Malgré tout, il me reste à découvrir ce qui passe à la radio pour Berthe :

- Et Berthe ?
- Elle me dit reconnaître un jeune journaliste, me transmet Paulette, apparemment il relate les évènements de mai 68 ! Il dit s'appeler Kédia !

Ma parole, elles ont toutes connu l'ancien journaliste; à croire qu'elles écoutaient les mêmes stations de radio que moi. Tout cela ne m'amène pas bien loin dans ma tentative de résoudre mon problème de visibilité... Aubervillers n'étant plus très loin, je dois me résigner à rejoindre mon père et mes grands-parents sans solution. Ils se verront tous les uns les autres tandis que ma grand-mère, sa mère et sa tante me resteront inconnues. Devrai-je me consoler avec mon souvenir photographique ? 

Avant de sortir de l'autoroute A1 et de m'engager sur le boulevard périphérique, Mémé Jeanne m'interpelle subitement :

- Berthe est finalement curieuse, que pourrais-tu lui révéler sur ce filou de Paul Bousse ?
- Nous arrivons presque à destination, mesdames, je vous raconterai tout ça une fois installés chez Marcel, mais je vous préviens : vous allez être suprises.

Pour sûr, elles vont l'être. 



Mais qui est Paul Victor Bousse ?





* lire « l'homme invisible » (1897)


En route pour l'épisode 7 !

samedi 5 septembre 2020

Jules Daisay : son dossier militaire

Voici un article en marge du généathème que j'avais dédié à Jules Daisay, le peintre savoyard, sosa 58 de mes filles, de qui j'ai toujours le projet d'écrire la biographie.

Ici, je vais m'arrêter sur sa carrière militaire car, chance inouïe, il a été officier et son dossier est conservé au Service Historique de la Défense à Vincennes.

En effet, quand le nouveau portail Internet de ce dernier a été mis en ligne, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir la possibilité de réaliser une recherche nomintative !




Sa fiche matricule que l'on trouve en ligne sur le site des archives de la Savoie contient de de nombreuses informations mais il y en a justement tellement qu'elle en est quasi illisible :



Le dossier de carrière va donc nous permettre d'en savoir davantage mais que contient-il exactement ?


Un état des services


Outre des renseignements d'état civil, ce document récapitule synthétiquement la carrière militaire du conscrit et ses différents grades :




On apprend que Jules Daisay est entré au service comme appelé en 1868, qu'il a participé à la guerre de 1870 et qu'il a démissionné en 1892 (nous verrons ensuite pourquoi). Son dernier grade était capitaine en second.


Rapports d'inspection générale



Dans l'exemple ci-dessous daté de 1888, on rappelle des éléments d'état civil, son signalement, son instruction et ses aptitudes militaires.




En conclusion du document, il y a l'appréciation générale du chef de corps (ou de service). Ici, il y est notamment précisé que Jules Daisay était un excellent officier.


Des documents d'état civil


Dans le dossier de carrière de Jules Daisay, on retrouve une copie intégrale de son acte de naissance ainsi qu'un certificat de mariage d'officier. Il s'est en effet marié en 1873 alors qu'il était sous-lieutenant du 8e régiment territorial d'artillerie.





Des mémoires de proposition à un grade supérieur


Document synthétique proposant le militaire au grade de sous-lieutenant pour cet exemple rappelant :
  1. Des indications sur le militaire (grade actuel, état civil, aptitudes);
  2. La durée des services et des campagnes ainsi que les blessures;
  3. Les faits de guerre;
  4. Un extrait des notes (évaluations, appréciations, statuts);
  5. Son rang de préférence parmi n candidats (ici, 13 sur 23);
  6. Les observations éventuelles.



On retiendra ici que l'avis fut favorable : « Fera un bon officier de troupe (Sections de Munitions) ».


La correspondance


Nous l'avons vu au début de cet article, Jules Daisay a démissionné de son grade en 1892. La majeure partie des lettres de correspondances renfermée dans son dossier de carrière concerne donc ce sujet. Je vous en partage ici une écrite par notre ancêtre lui-même :




On apprendra dans d'autres correspondances ses raisons. Il y en avait deux : tout d'abord pour raison de santé, Jules Daisay étant malade chronique du foie, mais aussi pour des raisons financières : il ne pouvait renouveler sa tenue militaire faute de moyens. Pour l'anecdote, j'ignorais que les tenues étaient à la charge des militaires eux-mêmes. Cette proposition de démission devait être soumise au Ministre de la Guerre puis au Président de la République mais je doute que Patrice de Mac Mahon, président d'alors, l'ait eue entre ses mains...





Sources : SHD de Vincennes, cote GR 5 YE 55841.
Photos : Brigitte S. (@Chroniques92), grand merci à elle.