jeudi 1 octobre 2020

#DéfiNapoléon : disparu sans laisser de traces

 


J'apprends l'existence de ce défi d'écriture, lancé à l'occasion de la journée Napoléon Bonaparte organisée par la Fédération Française de Généalogie, à quelques jours de la date butoir qui est le 1er octobre.

Raconter le parcours d'un des soldats de Napoléon de ma généalogie ? Cela tombe bien, je connais au moins deux ascendants en ligne directe - tautologie volontaire - qui ont fait partie de la Grande Armée; mais lequel choisir ? Les deux ont une histoire intéressante à mes yeux mais il a fallu trancher et c'est au gré de mes digressions sur Twitter que mon choix s'est porté sur le jeune héro fugace de cet article : Jean Louis François Pelletier.


Un Picard sans histoire


Jean Louis François Pelletier (sosa 276-G9 de mes filles) est né dans le petit village de Bernoville, dans l'Aisne, le 20 décembre 1783. Il est le fils de Jean Louis François (1748 - an V), valet de charrue et de Marie Madeleine Augustine Poullain (1755 - 1833), fileuse. Par la suite, il emménage avec ses parents dans le village de Grougis, situé à quelques kilomètres. Il y rencontre Marie Marguerite Célinie Mariage (1779 - 1818) - rien à voir avec les Frères accros au thé - qu'il épouse le 26 nivôse de l'an X de la République. Il a tout juste 18 ans et elle 22 ans. Ils auront un fils deux ans plus tard, Louis François. Ensuite plus rien.

Plus rien ? Non, pas d'autres enfants, pas d'acte de décès, rien. 

Mais alors, où est-il ?

J'ai débuté les recherches sur cet ancêtre alors que les différents projets d'indexation de Geneanet n'existent pas encore. J'étais d'ailleurs encore débutant en généalogie et ne faisais pas encore de parallèle avec l'Histoire de France, à tort évidemment. J'ai donc cherché son acte de décès un peu partout, en vain, jusqu'à ce que je tombe sur l'acte de remariage de son épouse, toujours à Grougis, en 1816. Quand on tourne en rond, on en oublie son centre... Je ne vais pas détailler cet acte, car ce n'est pas le sujet ici, mais simplement souligner un élément essentiel qui est mentionné :




« [...] Laquelle ayant eu pour mari le Sr François Pelletier mort depuis plusieurs années aux armées [...] »


Stupeur ! A cette époque encore on indiquait d'habitude la date et le lieu du décès de l'époux et l'acte de décès devait être annexé à celui du mariage. Ici, il est simplement indiqué qu'il est décédé sans préciser l'année ni le lieu. L'élément intéressant reste l'évocation de l'armée. Cela signifie que notre ancêtre est mort soit sur un champ de bataille - ou dans un hôpital - soit pendant un exercice.

Plus tard, je me suis intéressé à son fils, Louis François, sosa 138, qui est décédé jeune, en 1831, à l'âge de 27 ans. Son acte de décès indique la même information sur son père :



« [...] Fils de François Pelletier présumé mort aux armées [...] »

On notera qu'une certitude en 1816 devient une présomption en 1831...


L'Armée de Napoléon


Les fonds de l'enregistrement (série 3Q) du département de l'Aisne n'étant pas en ligne, il a bien fallu chercher d'autres sources pour mettre la main sur ce pauvre disparu. C'est seulement à ce moment-là que j'ai pensé à l'Armée Impériale. François Pelletier étant né en 1783, il y avait de fortes chances qu'il fût enrôlé dans ladite armée. Le hic, c'est que je n'avais aucun moyen simple de le retrouver dans les registres de contrôles de troupes pourtant en ligne sur le site « Mémoire des Hommes » du SHD : je ne connaissais pas le régiment auquel il aurait éventuellement appartenu !
Le moyen de retrouver ce régiment était de déterminer au préalable la répartition des conscrits selon le département et c'est finalement un document essentiel partagé sur le fameux site napoleon.org qui m'a mis sur la voie : « l'état des conscrit que chaque département doit fournir sur la classe 1806, et désignation des corps sur lesquels ils doivent être dirigés ». 



Extrait du bulletin des lois n°1809, lien ci-dessus



Pour le département de l'Aisne, ce document indique que les conscrits devaient faire partie du 32e régiment de ligne. Bien que notre ancêtre devait être a priori de la classe de 1803, je me suis précipité sur les registres numérisés de ce régiment. Il y en a plusieurs en fonction des années mais fort heureusement il y a des tables en fin de registre.

J'ai finalement trouvé mon bonheur sous la cote GR 21 YC 283, page 87 sur 551, matricule n°4096 !




Je note que sur cette fiche il y a une erreur sur son année de naissance : 1785 au lieu, de 1783, ce qui l'a conduit à être conscrit seulement durant l'an XIII. Il y a également une erreur sur sa commune de résidence, notée Grugny au lieu de Grougis.
Pour le reste, on voit qu'au niveau de son signalement, c'était un homme tout à faire ordinaire, mais moins grand que l'Empereur lui-même, 1m61 contre 1m68 selon les sources. On rappellera par ailleurs de ces tailles étaient tout à fait dans la moyenne française pour l'époque contrairement à ce qu'on voudrait encore nous faire croire aujourd'hui.

Les informations les plus intéressantes viennent ensuite : ses affectations et les campagnes auxquelles il a participé.


La bataille de Talavera de la Reina


Toujours d'après le registre, notre Picard prend part aux guerres napoléoniennes et se retrouve très loin de chez lui puisqu'entre 1806 et 1807 il est indiqué être en Prusse et en Pologne, sans doute enrôlé à la guerre de la Quatrième Coalition qui fut formée le 1er octobre 1806 contre la France par le Royaume-Uni, la Russie, la Suède et la Prusse, cette dernière n'acceptant pas la réorganisation de l'Allemagne imposée par Napoléon. 

Ensuite entre 1808 et 1809, son régiment part en Espagne, François Pelletier faisant partie de la 3e Compagnie de Voltigeurs depuis le 1er juin 1808. C'est dans la péninsule ibérique que son destin va alors basculer. Il n'y a guère plus de précisions sur le registre que la phrase suivante : « Rayé des contrôles le 15 mai 1810 pour longue absence, étant à l'hôpital depuis le 29 juillet 1809 ».

La mention du 29 juillet 1809 est un indice précieux car c'est le lendemain de la terrible bataille de Talavera qui opposa la France et la coalition anglo-espagnole, l'Espagne étant sous domination française avec le frère aîné de Napoléon, Joseph, comme roi d'Espagne à ce moment-là. Le 32e ligne dont faisait partie François Pelletier était bien présent à cette bataille, intégré au 4e corps de l'armée d'Espagne que commandait le Général Horace Sébastiani pour le compte de Joseph Bonaparte. Face à eux il y avait les armées britanniques du Général Wellesley et espagnoles du Général La Cuesta. Ce fut un massacre sans nom qui dura deux jours et qui laissa des milliers de morts dans chacun des camps. Il est dit que les blessés furent abandonnés sur place, certains dans les hôpitaux et d'autres qui périrent dans les flammes des incendies qui s'étaient déclarés durant la bataille.

Ma supposition est la suivante : François Pelletier, arraché de sa campagne (et à sa compagne !) pour faire campagne, faisait partie des blessés français qui ont pu accéder à l'un des hôpitaux de Talavera mais y est mort de ses blessures dans l'oubli absolu. Sa veuve aura attendu dix ans pour se remarier. Pour l'heure, il semble qu'il n'y ait pas d'archives en ligne concernant la province espagnole de Tolède, même sur Familysearch, pour vérifier cette hypothèse.



Bataille de Talavera - Source Gallica



Et si François Pelletier avait survécu et refait sa vie en Espagne ?


Mes Sources:

- Archives départementales de l'Aisne
- Gallica
- Mémoire des Hommes
- Napoleon.org
- Wikipedia

3 commentaires:

  1. Très bon choix de sujet 😁.
    Comme toujours j'ai eu beaucoup d'intérêt à lire ton article !

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  2. Quel travail de recherche pour cette bataille ! Félicitation.
    Ce serait mieux de penser qu'il a refait sa vie en Espagne, malheureusement c'est le moins probable :(

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  3. Bravo pour ce billet sur un soldat axonnais pour un défi saisi au débotté.

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