jeudi 24 juin 2021

#Généathème : absence de succession = indigence ?

Cet article est écrit dans le cadre des « généathèmes », relancés par l'association Geneatech, ce mois-ci, les histoires d'argent.

 


Alors, en réalité, je vais plutôt vous raconter des histoires de « non argent » car je m'intéresse ici à l'absence de déclaration de succession (ou mutation par décès) suite au décès d'un individu. On peut retrouver les transcriptions de ces déclarations aux archives départementales sous la série 3Q mais avant cela, il faut se référer aux tables de successions et absences pour vérifier si une déclaration a été faite. En l'absence de mention de succession, cela signifie que le défunt n'avait pas d'actif. Dans ce cas il y avait parfois des certificats d'indigence mais pas toujours.

Oui, mais qu'est ce que l'indigence ? Situation de quelqu'un qui manque des choses matérielles les plus nécessaires à la vie, comme la nourriture, l'argent. (source : cnrtl.fr). En gros, c'est la pauvreté.

OK mais est-ce que l'absence d'actif, in extenso de succession, signifie que la personne a vécu dans la pauvreté ? A l'inverse, le fait qu'il y ait eu une déclaration de mutation par décès revient-il à dire que le défunt était aisé voire riche ? Tout est relatif, voici donc quelques exemples.


Joseph Bourdin-Grimaud (1881-1927)

 

Joseph, dont j'ai déjà beaucoup parlé sur ce blog, est mon AGP en ligne paternelle. Il est décédé à l'âge de 45 ans, à Paris, en 1927, en pleine rue pendant son travail. Il était cocher-livreur de vins, profession qui n'enrichit pas vraiment si bien que dans les tables de successions et absences du bureau de Pantin, sa commune de résidence, on ne retrouve aucune trace de déclaration de succession mais simplement un tampon « pas de compte, ne possède rien ».
 
 
 
Tampon qu'on retrouve souvent dans ce registre - AD93 cote 1259W31

 
Cela signifie donc qu'il n'avait aucun argent de placé, pas même d'obligations comme c'était monnaie courante à l'époque. Il n'était pas propriétaire de son appartement ni même des meubles le meublant (non, en langage notarial/fiscal, ce n'est pas un pléonasme). 
 
Etait-il pauvre pour autant ? Pas si sûr : sa femme et lui travaillaient tous les deux et n'avaient qu'un seul enfant à élever, mon grand-père Marcel. Il existe même des photos professionnelles de ce dernier alors qu'il était bébé et enfant ce qui tend à montrer que ses parents avaient les moyens de se le permettre. Je pense donc que sans être évidemment aisée, la famille pouvait vivre décemment. 
 
 

Jeanne Nard (1846-1921)


Jeanne Nard est la mère du précédent. J'ai également déjà parlé d'elle ici. Elle est décédée en 1921 à l'Hôpital Lariboisière, à Paris 10e. Elle avait 74 ans. Pour elle également, la table de successions et absences du bureau de Pantin, où elle vivait elle aussi, n'indique aucune déclaration de mutation par décès mais uniquement le même style de tampon que ci-dessus. Je sais en revanche qu'elle a bénéficié d'une tombe individuelle dont la concession a été achetée et renouvelée une fois par Joseph (il aurait peut-être continué à la renouveler s'il n'était pas mort prématurément).

Etait-elle vraiment pauvre ? Malheureusement, oui. J'ai expliqué sur l'article qui lui est consacré qu'elle est devenue veuve en 1892 avec deux jeunes garçons à élever, ce qu'elle n'a pas pu faire bien longtemps. En effet, deux ans plus tard, elle a dû les faire placer par l'assistance publique car elle ne pouvait pas subvenir à leurs besoins. Sur le dossier de l'assistance, il est par exemple indiqué qu'elle touchait environ 1 franc par jour alors que son loyer s'élevait à 140 francs par mois.
 
 

Extrait du dossier des enfants assistés de la Seine - AD75



Coline Daisay (1839-1929)

 
Coline est la sœur de Jules Daisay, sosa 58 de mes filles. Native de Chambéry en 1839, elle a fini ses jours à Paris, dans le 9e arrondissement, en 1929 à près de 90 ans. Elle vivait alors au 31, rue Saint-Lazare, également lieu de son décès. Pour elle également, il n'y a pas eu de déclaration de succession pour raison d'absence « d'actif apparent » (AD75, cote DQ8 2793).
 
 

Coline Daisay, sortie de Bal, peinte par son frère Jules - Source Base Joconde



Etait-elle vraiment indigente ? Pas vraiment. Si à la fin de sa vie, elle ne semblait plus rien posséder, elle n'a jamais vraiment été dans le besoin. Elle avait épousé un banquier malheureusement décédé prématurément en 1882 mais cela lui a permis de vivre aisément et d'élever correctement leurs trois enfants dont l'un, René Marc Savoyen, a fait l'école Polytechnique et a terminé sa carrière comme lieutenant-colonel et officier de la Légion d'Honneur. Sa fille a également épousé un banquier ce qui laisse penser que la famille a toujours été présente, du moins financièrement, pour Coline.


Coline Daisay (1800-1858)

 

Coline Daisay (voir ici également), comme sa nièce ci-dessus, est née à Chambéry et décédée à Neuilly-sur-Seine où elle a été inhumée. Avant cela, elle a vécu une partie de sa vie à Lyon avec son mari et ses deux enfants. Contrairement aux autres femmes précédemment citées, elle est décédée avant son époux tant et si bien que ce dernier fut son légataire. Cependant, aucune mention de succession n'apparaît dans la table de successions du bureau de Neuilly-sur-Seine.
 
Vivait-elle dans la pauvreté ? Carrément pas ! Son époux n'était autre que Jean-Cincinnatus Mouton-Duvernet, fils unique du baron de l'Empire Régis Barthélémy Mouton-Duvernet. Jean-Cincinnatus était marchand tailleur mais est surtout devenu un des légataires de Napoléon Bonaparte, rien que ça. Il s'est d'ailleurs battu une bonne partie de sa vie pour obtenir son leg. Si l'histoire vous intéresse, vous pouvez la retrouver sur Gallica. 
 
Du fait du rang social de Jean-Cincinnatus, la famille Mouton-Duvernet/Daisay était aisée, ils ont même eu jusqu'à 7 personnes à leur service, comme en attestent les recensements fiscaux de la commune de Lyon.
 
 
Recensement fiscal du 7 rue Clermont à Lyon en 1833 - AM Lyon 921 WP 155 - on y voit qu'un domestique et six ouvriers et/ ou apprentis travaillaient pour le couple Mouton-Duvernet
  
 

 
 
Pour illustrer leur milieu social, leur fils Jean-Baptiste, décédé en 1912 sans postérité, est devenu, entre autres, préfet de plusieurs départements. Quant à leur fille Marie, malheureusement morte en couches, elle avait épousé le fils d'un ancien maire de Lyon.

Alors pourquoi Coline Daisay ne possédait-elle rien à son décès ? Je pense - sans en être certain - qu'à cette époque, le système était très patriarcal et que toutes les possessions du couple revenaient au mari. Ils se sont d'ailleurs mariés sans contrat devant notaire. Même l'héritage de ses parents, respectivement décédés en 1846 et 1857 a dû, lui aussi, finir dans la communauté de biens.

Précisons également que je n'ai retrouvé aucune trace de donation la concernant.

Paul Victor Bousse (1888-1942)

 
Paul Victor Bousse est un autre de mes AGP. Ce coiffeur Rémois né en 1888 a vécu après guerre en région parisienne, notamment aux Pavillons-sous-Bois. Malade de l'estomac, il s'éteint en 1942 à l'hôpital Tenon dans le 20e arrondissement de Paris. Lui non plus n'avait pas d'actif à son décès, pas plus que sa seconde épouse Louise Boban, décédée dans le même hôpital cinq ans plus tard. 

Etaient-ils pauvres ? Difficile à dire. Paul Victor Bousse, à son retour de captivité (4 ans passés à Darmstadt), divorce de mon AGM puis se marie avec Louise Boban, conditionneuse en pharmacie. Ils auront une fille et déménagent plusieurs fois : Livry-Gargan, Reims puis aux Pavillons-sous-Bois à différentes adresses dont une où ils sont propriétaires d'une maison héritée par Louise. Paul est coiffeur comme son père, il est tantôt à son compte, tantôt employé à la fin de sa vie. En 1933, Paul et son père héritent de leur mère et épouse Adeline Godot, d'une coquette somme pour l'époque (environ 10000 frs). Que s'est-il passé pour que Paul et Louise se retrouvent sans rien ? Mystère. Je n'ai toujours pas retrouvé l'acte de décès du père de Paul qui pourtant vivait chez ce dernier jusque-là. Mon hypothèse est que le peu d'argent qu'ils avaient a dû être dilapidé dans une éventuelle maison de retraite.
En définitive :  la famille a dû vivre décemment mais s'est retrouvée sans rien à la fin sans oublier que la seconde guerre mondiale et la maladie n'ont rien dû arranger.


Mon AGP avait même déposé un brevet ! Source : INPI


André Guy (1827-1893)


Je termine par André Guy, sosa 52 de mes filles, qui est né en 1827 à Bez-et-Esparon (Gard) et est décédé en 1893 à La-Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries. Il y a bien eu une déclaration de succession le concernant dont la transcription se trouve au bureau de Lodève. Les héritiers étaient sa seconde épouse et ses cinq enfants survivants.
Ces derniers se sont-ils enrichis ? Eh bien pas vraiment. En effet, il n'y a eu succession uniquement parce qu'André avait hérité 4 ans plus tôt de son fils Jules (1856-1889) qui possédait une maison en mauvais état ainsi que quelques terres. Autrement, la communauté n'avait aucun bien.
 
 
 
Extrait de la déclaration de succession d'André Guy - AD34 bureau de Lodève