mardi 27 juillet 2021

Antoine Daisay : Mort pour la Liberté

S'il est une révolution dont on ne parle quasi jamais, contrairement à celle de 1789, c'est bien celle de juillet 1830. Appelée aussi les « Trois Glorieuses » car déroulée sur trois jours, du 27 au 29 juillet, elle n'en fut pas moins importante que sa prédécesseure. Elle mit fin au règne aristocratique de la maison Bourbon et de Charles X - qui se prenait un peu trop pour son illustre ancêtre Louis XIV - pour laisser place à la maison d'Orléans avec Louis-Philippe Ier à sa tête. Les Parisiens se sont en effet soulevés contre les ordonnances du roi jugées dictatoriales et liberticides mais cette révolte fut loin d'être pacifique : elle s'est finie dans un bain de sang. Officiellement, elle fit 504 victimes parmi les insurgés, chiffre sous-estimé selon les historiens. Ces révolutionnaires resteront à jamais gravés dans les mémoires car leurs noms figurent sur la Colonne de Juillet, située Place de la Bastille, devant laquelle bon nombre de gens passent sans se demander à quoi elle peut bien servir.

Et parmi ces noms, il y en a un qui retenu toute mon attention : Antoine Daisay.


Le nom des victimes de la révolution de Juillet dont A.Daisay. On peut retrouver la liste noms sur Gallica

     


Généalogie d'Antoine Daisay

 
Deuxième enfant d'une fratrie de onze, Antoine Jean-Baptiste Daisay est né à Chambéry, le 9 juillet 1797, à l'époque où la Savoie était française. Il est le fils de Gaspard (1766-1846) et de Barbe Routen (1775-1857), cordonniers, sosa 232 et 233 de mes filles. Il est baptisé le même jour dans deux paroisses, celle de Saint-Léger et celle de Lemenc, ce qui est un fait curieux. Son parrain est son grand-père Antoine Routen et sa marraine, Jeanne Daisay, une de ses tantes, qui habitera par la suite Paris, tout comme Antoine.
 

Acte de baptême d'Antoine Daisay, orthographié Désay - AD73


«L'an mil sept cent quatre vint dix sept et le neuf juillet est né et le même jour a été baptisé antoine jean baptiste fils de Gaspard Desay et de Barbe Routens mariés. Parrain Antoine Routens grand père; Marraine Jeanette Désay tante de l'enfant.»

Antoine est aussi l'oncle de Jules Daisay dont j'ai tant parlé sur ce blog.

Il s'installe à Paris à une date inconnue où il exerce le même métier que ses parents - et que de nombreux membres de cette famille à chaque génération. C'est là qu'il rencontre sa future femme, originaire d’Époisses en Côte d'Or, Anne Nageotte. Ils se marient le 31 décembre 1829 à la mairie de l'ancien quatrième arrondissement où ils vivent, rue du Four Saint-Honoré, aujourd'hui rue Vauvilliers dans le premier arrondissement. Parmi les témoins on retrouve un de ses frères, Jean-Claude, et l'époux de sa marraine et tante, Nicolas Roty.




Acte de mariage Daisay x Nageotte issu de l'Etat Civil reconstitué de Paris - AD75

De leur union, naîtra une unique fille, Marie, le 19 avril 1830 dans l'ancien cinquième arrondissement. On y reviendra.


Son décès

 

C'est au deuxième jour de la révolution qu'Antoine Daisay trouve tragiquement la mort. Deux documents font état des circonstances de la mort. Le premier est son acte de décès, très certainement par un partisan de la révolution à en juger la tournure de phrase :

 

Acte de décès issu des reconstitutions des AD75.

 « Du trois août 1830. Acte de décès de Antoine Daisay, cordonnier, tué le 28 juillet en combattant pour la liberté, âgé de 33 ans, né à Chambéry, demeurant à Paris rue de la bibliothèque n°14, marié à Anne Nageoty, même demeure... »


Le deuxième document est issu d'un dossier conservé au C.A.R.A.N dont le fonds est nommé « Récompenses honorifiques et secours aux combattants, blessés et victimes des journées des 27, 28 et 29 juillet 1830. » En effet, suite à l'instauration du nouveau régime, l’État avait prévu de dédommager les familles des victimes. Parmi les pièces du dossier, on retrouve donc cette sorte de certificat de notoriété décrivant les circonstances de la mort, témoignages à l'appui :

 


« A savoir que le vingt huit juillet dernier à sept heure du soir, en combattant au coin de la rue de la Bibliothèque, il a été atteint d'une balle qui lui a traversé la tête et qu'il a succombé quelques instants après. »

On trouve encore plus de détails dans cette lettre envoyée par un riverain d'Antoine Daisay au directeur du Courrier Français, journal libéral de l'époque :
 


« Monsieur,

Connaissant votre dévouement à faire connaître au gouvernement par la voie de votre journal toutes les belles actions qui ont eu lieu pendant les journées des 27, 28, et 29 juillet der. il en est une qui meritte de vous être signalée, le nommé Daisay cordonnier de la rue de la Bibliothèque n°14 pendant les susdites journées il n'a saissé de se rendre sur tous les points du dangé ayant un long bâton au bout du quelle il avait adapté un tranché en forme de bayonnette; principalement à la redoute de la rue St Honoré près celle croix des petits champs et s'étant embusqué au coin de la rue de la bibliothèque il a été ateint d'une bal a sa tette et expiré sur le coup et laisse une femme avec un enfant de trois mois, sans aucuns moyens d'existance par sa perte qu'elle vient deprouvé. »

 

La seule chose que je ne saurai sans doute jamais, ce sont les raisons qui l'ont conduit à prendre part à la révolution. Parmi les hypothèses, il y aurait ses conditions de vie qui ne semblaient pas des plus aisées, sa veuve et son enfant se retrouvant sans ressources. C'est pourquoi le versement d'une pension dite « récompense honorifique » fut bienvenue.

Son inhumation

 
Le lieu de sa sépulture juste après son décès m'est inconnu malgré mes recherches dans les registres d'inhumation en ligne sur le site des archives de Paris. En revanche, il accompagne ses compagnons d'infortune dans le monument érigé à leur triomphe, la fameuse Colonne de Juillet, lors de son inauguration en grandes pompes en 1840. Lors de cette cérémonie, Hector Berlioz dirige l'orchestre jouant sa Symphonie funèbre et triomphale.
 

Le dossier de pension

 
Le dossier de pension évoqué plutôt permet de comprendre ce qui s'est passé après la révolution pour la famille Daisay. Parmi les pièces de ce dossier coté F/1dIII/52 (le CARAN me l'a numérisé à ma demande),  on retrouve :
  • Le certificat de notoriété cité plus haut ;
  • Les extraits d'actes de naissance de la victime, de ses parents et de sa veuve ;
  • Une fiche signalétique pour chaque membre de la famille concerné par la demande de pension ;
  • Des certificats de vie, prouvant que la veuve et l'orpheline sont toujours en vie ;
  • Différentes lettres appuyant la demande de pension ;
  • Un extrait des minutes extra-judiciaires près la justice de paix du canton de Semur (Côte d'Or) : il contient un conseil de famille statuant que Marie Daisay est sous la tutelle de sa mère et qu'un certain Jacques Antoine Beudeley, ami de la famille, en devient le subrogé tuteur ;
  • Enfin, la nature de la pension délivrée à la famille.

 

Fiche de demande de pension pour Marie Daisay, fille d'Antoine

 

La vie continue

 

Après les faits, Anne Nageotte retourne vivre en Côte d'Or, d'abord à Époisses, sa ville natale, puis à Semur-en-Auxois où elle décède en 1879 dans l'hospice de la commune. Elle ne s'est jamais remariée.

Quid de Marie Daisay ? Je ne l'ai jamais retrouvée avec sa mère dans les recensements en ligne, pas plus que chez son subrogé tuteur à Époisses et je ne lui ai jamais trouvé de mariage. Il m'a fallu obtenir la déclaration de succession de sa mère pour comprendre pourquoi (merci le Fil d'Ariane) : en 1880, elle est notoirement connue comme Sœur Euphrasie au couvent des Ursulines de Montbard, toujours en Côte d'Or.   

Je la retrouve donc, par exemple, dans les recensements de Montbard de 1886 :

 

Recensement Montbard 1886 - Couvent des Ursulines rue Daubenton - AD21 (10 M 424-11)

Pour l'anecdote, son nom y est orthographié Daisey. Si Daisay est un patronyme typiquement savoyard, la variante orthographique existe Daisey bel et bien en Côte d'Or. La confusion est donc compréhensible.

Malheureusement, je n'ai pas retrouvé son acte de décès. En 1905, lors de la séparation de l’Église et de l’État, les Ursulines ont dû quitter le couvent. Il est probable qu'elles aient quitté la France pour la Suisse ou la Belgique mais est-ce bien le cas pour Marie Daisay, âgée de 75 ans cette année-là ?

Cela fera l'objet d'une autre recherche !

3 commentaires:

  1. C'est passionnant ! J'avais des ancêtres à Paris à cette époque, j'aimerais beaucoup savoir comme ils ont traversé tout cela.

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  2. Très intéressant, belle enquête autour de la destinée de ce savoyard et de ses proches

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  3. Bernardot Michel11 août 2021 à 14:37

    Joli travail, Renaud! Petite coïncidence: ma maman est née à Semur-en-Auxois, trente quatre ans après le décès d'Anne Nageotte.

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