samedi 17 septembre 2022

#RDVAncestral : une simple histoire de fromage

Cela fait bien longtemps que je n'ai pas rencontré un de mes ancêtres. Et si je réessayais ? Après tout, ce n'est pas bien compliqué. Il suffit de s'asseoir confortablement dans son fauteuil avec une collation à disposition (ou pas), de fermer les yeux et d'attendre que cela se passe. Ensuite c'est la loterie de la vie qui se lance et nous conduit aléatoirement vers un chemin inconnu. 

Alors, je m'exécute. J'ai mon fauteuil, mon café et mon biscuit posés sur la table basse. Tout est prêt, je ferme les yeux, respire profondément mais en douceur et j'attends. Rien. Bon, ce ne doit pas être la bonne méthode finalement. Ou peut-être que je n'attends pas assez longtemps. Allez, je recommence. cinq, dix, vingt, trente secondes, toujours rien, une, deux, trois minutes, rien de rien, dix, vingt minutes. Cela suffit d'attendre, mes ancêtres n'ont pas envie de me voir. Ce n'est pas grave, je ne vais pas en faire tout un fromage.

Soudain, l'image se brouille et mon environnement disparaît ! Pour laisser place à une toute autre ambiance : que de bruit ! Où suis-je donc ? On dirait un bar ou un café, il y a des gens attablés près d'un comptoir bondé. Tout le monde boit et mange mais surtout parle vraiment bruyamment. A en juger la tenue vestimentaire de chacun, il semble que je sois tombé au tout début du XXe siècle. Ah ! Et précision importante, personne ne parle français ! Je distingue plusieurs langues mais surtout de l'anglais et avec différents accents, dont l'italien.

Je ne mets pas longtemps à découvrir où je suis réellement, j'ai peu d'ancêtres ayant vécu là-bas : je suis dans le quartier de Brooklyn ! Oui, oui, à New York ! Quel bond dans l'espace et le temps ! C'est mon arrière-grand-père Pietro Ferrara qui a vécu là-bas, pendant 5 ans environ, entre 1906 et 1911. D'ailleurs, je l'aperçois au comptoir avec un ami, lui aussi italien a priori.



Pietro Ferrara (1865-1936) - Archive personnelle



Pietro Ferrara est né en 1865 à San Cipirello, dans la région de Palerme, de Lorenzo (1814-1886) et Maria Cacioppo (1835-1878). Je lui connais un frère (Damiano) et deux sœurs (décédées en bas âge). En 1891, il se marie dans une commune voisine, Partinico, avec Maria Parrino (1869-ap.1936) avec qui il a 9 enfants (5 décédés en bas âge) dont mon grand-père Lorenzo (1901-1985). 

En avril 1906, il fait le grand voyage seul vers l'Amérique pour y tenter sa chance. Il part de Naples avec le bateau Massilia et arrive le 25 avril à Ellis Island. Là-bas, il dit rejoindre son frère Giovanni (que jamais je ne trouva) au 245 Linden Street à Brooklyn. Je ne sais rien d'autre de sa vie à New York hormis cette anecdote que je pense bientôt vivre en direct.



Croisement de l'avenue Onderdonk et la Linden Street - CPA colorisée de 1910 - Source Ebay



Je l'aperçois donc, accoudé au comptoir avec son ami, mais je me fais discret. En effet, comment réagirait-il s'il voyait un gus fagoté comme jamais, près de lui, à faire le curieux ? Je comprends que les deux compagnons s'apprêtent à commander car ils ont faim. Problème : ils parlent en italien et le tenancier n'y comprend rien. Il répond en anglais. L'ami de mon bisaïeul - appelons-le Angelo - voudrait du pain et du fromage (pane é formaggio) mais n'arrive pas à se faire comprendre. L'autre lui répond toujours en anglais ce qui a le don d'énerver ledit Angelo. Finalement, ce dernier explose :

    - Butta che t'a ciiiizzzz (je refuse de traduire)
    - Haaaa Cheese !? Yes, of course ! 

Et voilà que le patron du bar leur sert du fromage et du pain. Ou comment une insulte en italien a permis de mettre fin à un dialogue de sourds. A présent j'aperçois Angelo se tourner vers Pietro et lui dire, l'air médusé mais désormais apaisé :
    - C'est tout de même malheureux d'être obligé de s'énerver et d'insulter pour se faire comprendre. C'est quoi ce pays ?

M'entendant pouffer, les deux se retournent vers moi et s'exclament à l'unisson :

    - Ma chi sei ?

Mais voilà qu'à l'instant même où j'allais leur répondre, je me retrouve de nouveau dans mon salon. Ouf ! C'est mieux ainsi.


Finalement, après que son frère Damiano l'a rejoint à Brooklyn en 1909 avec sa femme et ses enfants, Pietro reviendra en Sicile aux alentours de 1911. Son projet était de regagner le rêve américain avec son épouses et ses enfants, dont mon grand-père, mais l'Immigration Américaine en décidera autrement : ma bisaïeule Maria Parrino sera refusée pour des questions soi-disant  d'hygiène et de santé car elle avait, selon ma mère, un conséquent grain de beauté près d'un œil. Apparemment, cela suffisait pour être discriminée mais je ne pourrai a priori jamais le prouver.

De toutes façons, si ce projet s'était déroulé sans accroc, je n'aurais jamais été là pour en parler !

3 commentaires:

  1. Comme quoi un bon petit coup de g***le vaut bien un fromage

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  2. Récit fort bien introduit et dynamique qui nous permet de faire la connaissance de Pietro

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  3. Comme quoi, s'énerver a parfois du bon. Mais ce qui m'intrigue, c'est histoire du grain de beauté...

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