dimanche 15 novembre 2020

Mourir dans une Reims déserte ?

(article écrit le 15/11/2020, mis à jour le 06/02/2022)

 

Cathédrale de Reims en 1914

 

Une enquête nécessite forcément des recherches et des recherches mènent parfois à de la dispersion. C'est comme retourner toute une maison pour tenter de retrouver désespérément la clé qui ouvrira un coffre-fort lui aussi dissimulé. Plus on ouvre de tiroirs plus on a de pistes, soit sérieuses soit menant à nulle part ailleurs qu'au point de départ. Enfin, il peut arriver qu'une de ces pistes conduise à une énigme plus dure encore que l'enquête initiale.

Ce que je vais vous narrer dans cet article est justement ce qui m'est arrivé pendant de longues années. Il s'agit d'un dérivé de mon article sur mon arrière-arrière-grand-mère Adeline Godot dans lequel je dédie un paragraphe entier à la présente énigme : l'acte de décès de son oncle maternel.


Jean-Marie Séraphin Sauvage, l'Ardennais


Jean-Marie naît le 16 août 1838, dans les Ardennes, à Neuflize, dans l'arrondissement de Rethel, la plus grande ville à proximité est Reims, on y reviendra. Ses parents Jean-Pierre Sauvage (1804-1880) et Marie Louise Amélie Cordonnier (1801-1852) sont tisseurs et instruits : tous les deux savent signer. Jean-Marie est le dernier de trois enfants, avant lui sont nés à Neuflize :
  • Jeanne Marie Scholastique, le 10 octobre 1826. Elle épouse Louis Ferdinand Lambert (1828-1889), toujours à Neuflize, le 4 août 1856. Ils auront deux enfants qui ne survivront pas. C'est important de retenir cette information pour la suite. Jeanne s'éteint, avant son mari, en 1888 à Reims où la famille s'était établie ;
  • Françoise Séraphine, le 1er août 1834. C'est la mère d'Adeline Godot, je ne reviens donc pas sur elle, si ce n'est qu'elle est décédée très jeune, en 1863, à Rethel alors qu'Adeline n'a que 6 ans. Son père, Alexandre, se remariera plusieurs fois. A noter là-aussi qu'Adeline est l'unique survivante de toute sa fratrie et demi-fratrie. 
De l'enfance et de l'adolescence de Jean-Marie, je ne sais rien, mis à part qu'il perd sa mère à l'âge de 14 ans et qu'il en a 18 quand ses deux soeurs se marient, mariages dont il ne sera pas témoin. Tout le monde vit encore à Neuflize à ce moment-là.


On sait signer dans la famille Sauvage - arbre Heredis


Jean-Marie Séraphin Sauvage, le Rémois


J'ignore précisément quand la famille s'installe à Reims mais je sais que Jean-Marie et son père habitent à Rethel en 1863, année du décès de Françoise Séraphine. Je les retrouve ensuite dans les recensements de Reims en 1866, au numéro 3 de la rue Saint-Thiéry. Ils exercent tous les deux la profession de perruquier. 

Le 7 décembre 1868, Jean-Marie épouse Marie Adeline Cousinard, une Rémoise née en 1845. Ensemble ils auront 5 enfants. Hélas ! Le destin sera cruel avec le foyer ainsi constitué : aucun des enfants ne dépassera l'âge de 2 ans. Marie Adeline expirera d'ailleurs pour la dernière fois peu après son dernier enfant, le 17 septembre 1875.


Quelle tristesse de voir toutes ces paires de ciseaux ! Vue Heredis 2020


 
Cette année-là est d'autant plus cruelle pour la fratrie Sauvage qu'Adeline Godot, alors âgée de 18 ans, est l'unique survivante de tous leurs enfants. Il n'y aura plus aucune nouvelle naissance ensuite. Adeline se retrouve donc être l'unique héritière de son oncle Jean-Marie. 
 
Je note qu'à l'avenir il serait intéressant d'étudier la démographie Rémoise de l'époque car je remarque un nombre très élevé de décès en bas âge à Reims par rapport à d'autres communes de ma généalogie.

Jean-Marie restera veuf jusqu'en 1891, année où il épouse une veuve sans descendance, Marie Elisabeth Gillard, une Ardennaise de 3 ans son aînée. Le couple habitera alors au 23 rue Chabaud, dans une maison appartenant à l'épouse, Jean-Marie étant propriétaire de deux maisons sises 22-24 rue de Fismes anciennement lieu-dit les Longues Royes.
 
 

Reims, martyre de la Grande Guerre


Les années passent, le couple vieillit, seul, dans sa demeure rue Chabaud, l'unique nièce de Jean-Marie étant partie avec sa famille à Neufchâtel-sur-Aisne juste avant le nouveau siècle. Quant à la famille de Marie Eliszabeth, elle est, pour la plupart, dans les Ardennes. Puis vient la Grande Guerre, qu'on ne présente plus, mais qui est toujours nécessaire de rappeler dans les mémoires. Reims n'est pas contournée par les troupes, elle est au contraire prise de plein fouets par les bombardements allemands ce qui fait fuir une bonne partie des Rémois dès 1914-1915. 

Mais pas eux. Je retrouve l'acte de décès de Marie Elizabeth Gillard, veuve Grumiaux, épouse Sauvage, le 25 septembre 1915, dans sa 81e année. Cela se passe au 11 rue Cazin. Si aujourd'hui il s'agit d'une résidence meublée, j'ignore ce que c'était à l'époque mais ce n'était pas son domicile qui était toujours le même d'après l'acte de décès. Je trouve une mention de ce lieu dans Gallica comme étant une œuvre diocésaine de retraite : peut-être donc une sorte d'hospice religieux.

Jean-Marie étant indiqué comme étant époux survivant, je recherche alors son décès dans les archives municipales en ligne de Reims qui vont jusque 1920. Sans succès. Il est à noter qu'il n'y a aucun acte d'état civil entre mars et septembre 1918 car la municipalité a été évacuée avec tous les derniers habitants et installée provisoirement à Paris. On ne retrouve pas non plus son décès dans les transcriptions de début 1919. Est-ce que Jean-Marie fait partie des personnes évacuées ? Aucune idée à ce stade des recherches. On ne le retrouve pas dans les documents disponibles sur Gallica ni sur Filae. J'y reviens plus tard.


Résolution partielle : la déclaration de succession


A défaut d'acte de décès, les archives de l'enregistrement sont une ressource incontournable pour retrouver le lieu et la date du décès d'une personne, qu'elle ait laissé des biens ou non. En effet, sur les tables de successions et absences, tous les décès sont reportés. C'est ainsi que j'ai pu retrouver l'information concernant Jean-Marie et confirmer celle de Marie Eliszabeth. J'en ignore la cause réelle, on peut toutefois s'en douter à cause de la guerre, mais leur déclaration de succession a eu lieu le même jour, soit le 19 juillet 1924. Oui, 9 ans après le décès de Marie Elizabeth Gillard, et 6 après celui de Jean-Marie. Quand on sait que le délai légal est de 6 mois maximum après le décès, cela laisse songeur...
En effet, d'après la déclaration de succession, Jean-Marie Séraphin Sauvage serait décédé le 5 avril 1918 en son domicile, 23 rue Chabaud à Reims ! Comment est-ce possible alors qu'aucun acte de décès n'a pu justement être retrouvé en 1918 ni même en 1919 ?
Elément intéressant : sur la déclaration de son épouse, il est noté qu'elle est décédée à la même adresse mais nous savons que c'est faux. C'était au 11 rue Cazin comme vu plus haut. Pouvons-nous conclure à une double erreur et espérer que le décès de Jean-Marie soit survenu dans une autre commune ?


Quand on croit qu'on arrive au bout de l'énigme... - Extrait - AD51


Une date, un lieu mais pas d'acte



CPA de la rue Saint-Thierry - où a vécu Jean-Marie au XIXe siècle - bombardée durant la Grande Guerre - Capture Delcampe 



Comme je l'ai écrit plus haut, Reims a été une ville martyre de la première guerre (voir cette excellente expo virtuelle). Elle a été peu à peu vidée de ses habitants au fur et à mesure des combats pour l'être totalement le 23 mars 1918 - parce qu'ils gênaient les militaires, soi-disant ! Seule une poignée de locaux a été autorisée à rester pour assurer l'entretien et les urgences (les pompiers par exemple). En 1918, Jean-Marie Séraphin allait sur ses 80 ans. pouvait-il rester à Reims ? Peu probable à mon avis mais il faut en avoir la certitude :

  • La transcription du décès est-elle survenue après 1919 ? Non, après prise de renseignemants par email et courrier postal, les archives de Reims et la mairie ont répondu par la négative. Cependant, comme cette dernière a mal compris ma demande, j'ai dû faire appel à Céline Souëf, généalogiste bien connue des généablogueurs, pour en avoir le cœur net. Merci encore à elle.
  • A-t-il été enterré à Reims ? Son épouse l'a été, dans canton n°15 du cimetière Nord. En revanche lui n'y est pas, pas même dans le carré militaire destiné aux victimes militaires et civiles rémoises. Il n'y a d'ailleurs aucune trace de lui dans aucun des autres cimetières rémois, ce que m'a également confirmé Céline. En parallèle, j'ai appris que sa sœur Scholastique a été inhumée dans un caveau pour indigents dans le cimetière Sud.
  • Figure-t-il dans la liste des victimes civiles rémoises parue dans le journal Nord Est en 1930 ? Que Nenni.
  • Est-il retourné dans les Ardennes plus de 50 ans après les avoir quittées ? J'en doute vu la guerre qui y faisait autant rage qu'à Reims. De plus j'ai vérifié dans l’État Civil de Neuflize et Rethel sans plus de succès.
  • A-t-il finalement été évacué ? Possible mais où ? J'ai pensé qu'il a pu rejoindre Adeline Godot et son mari à Neufchatel-sur-Aisne mais le chou reste plus blanc que blanc, cette commune ayant été également gravement touchée par la guerre. J'ai par ailleurs essayé de retrouver les différentes communes de résidence des évacués à l'aide des états disponibles sur Gallica mais après avoir collecté toutes les données relatives à Reims, je dénombre par moins de 260 communes ! Autant rechercher un photon dans l'univers.

Dans tous les cas, après le décès de son épouse, je l'imaginais mal, seul et âgé, errer dans les rues rémoises devenues plus dangereuses encore au fil de l'intensification des bombardements. J'ai eu également peine à imaginer qu'il eût pu rester confiné chez lui quand bien même il aurait eu une cave exploitable en habitation comme c'était monnaie courante à Reims durant la Grande Guerre.  


La résolution grâce au certificat de notoriété


Pour résoudre cette énigme épineuse, j'ai donc décidé de rassembler le plus de documents possibles sur Jean Marie Séraphin Sauvage. Grâce à l'aide inestimable d'une bénévole du Fil d'Ariane (merci Ghislaine!), j'ai pu obtenir les documents suivants, entre autres :
 
  • Matrices cadastrales ;
  • Actes d'achats de terres transcrits dans les hypothèques ;
  • Contrat de mariage ;
  • Acte de vente des deux maisons évoquées plus tôt par Adeline Godot qui en avait hérité.

 

C'est grâce à ce dernier document que j'ai pu découvrir l'existence d'un certificat de notoriété - qui aurait dû être mentionné dans la déclaration de succession ! - datant du 14 mai 1920 soit plus de deux ans après le décès du Rémois. Et dans ce dossier, outre quelques correspondances, on retrouve la copie d'un acte de décès !

 

Tadam !

 

Jean Marie est donc décédé en Savoie, au Pont-de-Beauvoisin et plus précisément :


Tadam, bis !


Voilà donc la preuve que notre protagoniste a bien été évacué de Reims comme quasi tout le monde. Pour savoir exactement quand, il faudrait que je me déplace dans l'antenne rémoise des AD de la Marne car c'est là que sont entreposées les archives liées aux réfugiés de guerre. La seule chose que je ne comprendrai sans doute jamais est pourquoi dans la déclaration de succession il a été indiqué décédé à son dernier domicile de Reims.

Enfin, j'ai bien résolu cette énigme mais cela ne m'a pas permis de découvrir ce qu'il était advenu de sa nièce. En effet, si Jean Marie Séraphin est bien décédé à Pont-de-Beauvoisin, la mairie de la commune m'a en revanche indiqué ne pas savoir où il a été inhumé. Dommage, on attendra Adeline Godot un peu plus longtemps.

samedi 17 octobre 2020

RDV Ancestral : voyage dans l'au-delà, épisode 7

 Pour vous rafraîchir la mémoire, l'épisode précédent est par ici !


Je suis de retour à Aubervilliers en compagnie de mes quatre aînées - dont deux invisibles, n'oublions pas - et en direction de l'appartement de mes grands-parents où j'avais laissé mon père. Je suppose qu'il a eu suffisamment de temps pour se remémorer le passé avec eux et qu'il sera très en joie de revoir sa mémère, sa tante et les cousines. 


C'était ici, souvenez-vous...


Je me gare, toujours avec une facilité déconcertante alors qu'en temps normal c'est toujours blindé dans cette rue Henri Barbusse, puis invite mes accompagnatrices à me suivre. Une fois arrivé au niveau de la porte de l'appartement en question, je frappe cette dernière comme l'autre fois. De nouveau, la voix de mon grand-père Marcel se fait entendre m'invitant à entrer.

- Me revoilà, fais-je, et en bonne compagnie !
- Voyons... Berthe, Jeannette, Jeanne et Paulette avec vingt ans de plus, ahahah, tu nous as ramené toutes les vieilles ? me répond mon aïeul, hilare, tu aurais pu t'abstenir, ici c'est un studio, pas le château de Versailles !
- Toujours aussi élégant, Marcel ! répondent en chœur Paulette et sa mère.

Je n'entends évidemment pas Berthe et sa sœur puisqu'elles me sont toujours invisibles mais au vu de la manière dont Marcel a aussitôt baissé les yeux, je pense qu'il a dû se prendre une magnifique reprise de volée verbale de la part de sa belle famille.

Dans un coin du studio, j'aperçois mon père qui semble étreindre une forme invisible. C'est évidemment sa mère. je n'ose à peine imaginer tout ce qu'ils ont pu se raconter pendant mon absence, cela a sans aucun doute fait sortir leur rivière d'émotions de son lit de souvenirs.

Au centre, je remarque une petite table sur laquelle se trouve deux verres et une bouteille d'anisette. 

- Je vois que vous n'avez pas perdu de temps, dis-je tout haut en désignant la scène alcoolisée, ce n'est pas la cirrhose qui vous fait peur à ce que je vois. Tiens, Grand-Père, tu ne le sais sans doute pas, mais ton grand-père en est mort, en 1892, il avait 42 ans. Quant à ton père...
- Pas besoin de me le rappeler, mon père est mort d'une crise cardiaque, en pleine rue, à 45 ans. Il livrait du vin. Il devait sans doute le boire aussi. On ne se refait pas, c'est de père en fils. Je suis sûr, d'ailleurs, que toi-même, tu ne bois pas que de l'eau fraîche, hein ?
- Touché, je concède alors en détournant mon regard vers mon père, amusé.

Réalisant que je digresse de mes objectifs principaux, à savoir trouver un moyen de dialoguer avec les invisibles puis retrouver le fameux père Bousse, je reprends le fil de la discussion.

- Bon, ce n'est pas tout ça, j'ai un problème à résoudre : j'aimerais bien voir celles que je n'ai pas connues de mon vivant...
- Mais on t'a déjà dit que c'était impossible, me répond mon père, Bernard.
- Peut-être bien mais qu'en savez-vous au juste ? insisté-je, vous n'avez jamais réellement cherché à régler ce problème. D'ailleurs en ce moment même vous vous voyez tous les uns les autres donc, forcément, cela ne vous vient pas à l'esprit alors que moi, il me manque trois personnes ! Gisèle, Berthe et Jeannette !

Tandis que je m'emporte dans mon délire, je ressens plusieurs souffles autour de moi, comme des courants d'air. Serait-ce mes aïeules qui se déplacent tels des fantômes ? Pourraient-elles faire comme dans Ghost* en se concentrant un peu, à la manière de Patrick Swayze ? Ce serait un bon début à défaut de les voir complètement. 

Alors que je m'apprête à poursuivre mon quasi monologue, elles apparaissent soudain, comme par miracle - peut-on parler de miracle dans cet univers étrange ? -, toutes les trois également étonnées par ma visibilité soudaine.

- Oh, nous te voyons enfin ! s'exclame Gisèle, ma grand-mère, comme tu ressembles à Bernard !
- C'est vrai, confirme Berthe, à côté de sa fille.
- Assurément ! renchérit Jeannette, la sœur de cette dernière.
- Il parait, il parait, réponds-je modestement avant d'enchaîner, sautant du coq à l'âne, voilà un problème de résolu. Passons aux choses sérieuses.
- C'est-à-dire ? me demande ma grand-mère.
- Eh bien, je recherche ton père, ma chère grand-mère.
- Mon père... Je n'en ai pas, à moins que tu ne parles de Papaul, mon beau-père, me répond-elle la mine sombre.
- Non, non, ma fille, il cherche ton géniteur, reprend sa mère, je ne voulais pas l'aider au départ mais quand il m'a dit que j'aurais l'occasion de te revoir , je n'ai pas hésité.
- Quel intérêt ? coupent, à l'unisson, mon père et mon grand-père.
- Une obsession de généalogiste ! C'est le seul ancêtre récent dont je ne connais pas le visage et maintenant que je suis là, autant en profiter. D'ailleurs, je n'ai pas même pas pensé à demander aux personnes qui l'ont connu : comment était-il physiquement ? Son visage ? Je n'ai qu'une vague idée grâce à sa fiche matricule.
- Eh bien, je ne l'ai plus revu après notre divorce en 1920, dit ma bisaïeule, j'ai vécu près de 50 ans après, bien suffisamment pour oublier son visage... Ta grand-mère et Paulette ne l'ont jamais vu tandis que ma cousine...
- Eh bien moi, c'est pareil, je ne l'ai pas beaucoup vu donc je ne m'en souviens guère, termine Mémé Jeanne.

La belle affaire, mes ancêtres ont terminé leur vie sans avoir eu de maladie leur touchant la mémoire mais voilà qu'elles me font le coup de l'Alzheimer. C'est trop facile.


J'ai au moins le signalement... Source FM n°789 bureau de Laon - AD02


Alors, pour tenter de capter l'attention de mon public, je leur révèle le devenir de mon arrière-grand-père, Paul Victor Bousse, après son divorce d'avec Berthe. Ce Reimois, né en 1888 d'un père lorrain et d'une mère ardennaise était le seul survivant d'une fratrie de quatre. S'il a vécu au moins les premières années de sa vie à Reims, il a beaucoup déménagé par la suite. En 1899, ses parents vendent leur salon de coiffure pour s'installer à Neufchâtel-sur-Aisne. Je ne sais rien de l'adolescence de Paul mais lors de son recrutement militaire, il était domicilié au Perreux-sur-Marne, en région parisienne, alors que ses parents habitaient toujours au même lieu. j'ignore ce qu'il y faisait mais son acte de mariage, célébré en 1913 à Etampes-sur-Marne, dans l'Aisne, m'apporte un indice de taille : il était proche de ses cousins dont les parents ont vécu justement dans ladite commune.
Pendant que je raconte tout ça, je vois mon père et son père se désintéresser de mon monologue et retourner à leur Pastis. Soit, j'enchaîne face au reste du groupe exclusivement féminin. Pour l'instant il me semble ne leur avoir rien révélé de surprenant. Après le mariage, ma grand-mère naît en septembre 1914 alors que son père est au front. Sa fiche matricule m'a appris qu'il avait été fait prisonnier par les Allemands en 1915 et qu'il a passé quatre ans en captivité à Darmstadt. A ce sujet, je demande à Berthe :
- Saviez-vous qu'il était captif en Allemagne ? Aviez-vous cherché à avoir de ses nouvelles ? Quand j'étais vivant - à supposer encore une fois que je ne le suis vraiment plus - j'avais entrepris des recherches auprès de la Croix Rouge mais ils n'avaient rien sur lui.
- Oui, je le savais mais je n'ai pas cherché à correspondre.
- Pourquoi ?
Silence assourdissant. Bon, je continue. A son retour en France en 1919, il se retire à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) et reprend contact avec Berthe lui demandant de regagner le domicile conjugal ce que cette dernière refuse. Il demande donc le divorce. Là, je n'apprend rien à personne, même aux deux passionnés du breuvage jaune. Je ne m'étale pas trop sur le contenu du jugement de divorce mais la conclusion fut que Berthe a obtenu la garde de ma grand-mère ainsi qu'une petite pension alimentaire. Paul a quant a lui eu le droit de visite un dimanche par mois.


Enregistrement du jugement rendu au tribunal de Pontoise - source AD95



- Il n'a d'ailleurs jamais usé de son droit, me coupe Berthe, nous ne l'avons plus jamais revu.
- Je comprends donc pourquoi il n'est pas indiqué comme décédé sur l'acte de mariage de Gisèle, fais-je en aparté.
- Ah bon ? s'étonne ma grand-mère.
- Oui, il est mort en 1942, trois ans avant ton mariage avec Grand-Père, mais j'y reviendrai plus tard, je reviens sur les faits plus importants.
Très peu de temps après le jugement, il se remarie avec une Parisienne, Louise Boban. Comment et où l'a-t-il rencontrée ? Mystère. Toujours est-il que j'ai cru pendant longtemps qu'ils n'avaient pas eu d'enfant car la fiche matricule du père Bousse n'en faisait mention que d'un seul, ma grand-mère donc. Sauf que non ! A la fin de l'année 1921, ils ont une fille ! Yvonne. La famille part ensuite à Reims pour quelques années avant de revenir en région parisienne, aux Pavillons-sous-Bois aux alentours de 1927.
- Attends, attends, quoi ? intervient ma grand-mère interloquée, j'ai une demi-sœur ?
- Pas possible ! l'accompagne l'unisson quasi toute l'assemblée, sauf mon père à qui je l'avais déjà révélé de notre vivant.
- J'ai été aussi choqué que vous quand je l'ai appris.
- Et que sais-tu sur elle ? me demande Gisèle soudain piquée de curiosité.
- Pas mal de choses mais je vous parlerai d'elle une autre fois si vous le voulez bien. Revenons au père Bousse... 
Les-Pavillons-sous-Bois sera la dernière commune où vivra la famille, ils y changeront plusieurs fois d'adresse au gré de la situation financière de mon arrière-grand-père (il était coiffeur) et de sa seconde épouse (conditionneuse en pharmacie). Paul Victor Bousse s'éteint en 1942 à l'Hôpital Tenon à seulement 53 ans. Sa femme le rejoindra cinq ans plus tard, au même lieu, laissant Yvonne orpheline à l'âge de 26 ans.
- 53 ans ! m'interrompt encore une fois ma grand-mère, je tiens donc de lui pour ce qui est de la longévité !
- Ne t'inquiète pas ma fille, pour le reste, tu tiens bien de moi, la rassure sa mère.
- Toujours est-il que j'aurais bien deux ou trois mots à lui dire. J'aimerais bien qu'on aille le voir, s'exclame Gisèle. Tu connais sa dernière adresse je suppose ?
- Bien sûr mais il y a comme un problème... Je n'ai plus de place dans la voiture et nous serions huit si nous y allions tous, m'inquiété-je.
- Ah non, Bernard et moi, on reste là, ce type n'a aucun intérêt à nos yeux, me lance mon grand-père Marcel, son verre à la main.
- Très bien, mais même à six c'est impossible...
- Tu oublies une chose, mon cher petit-fils, j'étais cheminote et il se trouve que j'ai pas mal d'anciens collègues décédés ! Nous allons prendre le train !
- d'Aubervilliers aux Pavillons-sous-Bois ? Par quel miracle ?
- Fais-moi confiance.

Et tandis qu'elle franchit le pas de la porte, je la vois disparaître ainsi que Berthe et sa sœur Jeannette. 




* Ghost : film de Jerry Zucker, sorti en 1990.

jeudi 1 octobre 2020

#DéfiNapoléon : disparu sans laisser de traces

 


J'apprends l'existence de ce défi d'écriture, lancé à l'occasion de la journée Napoléon Bonaparte organisée par la Fédération Française de Généalogie, à quelques jours de la date butoir qui est le 1er octobre.

Raconter le parcours d'un des soldats de Napoléon de ma généalogie ? Cela tombe bien, je connais au moins deux ascendants en ligne directe - tautologie volontaire - qui ont fait partie de la Grande Armée; mais lequel choisir ? Les deux ont une histoire intéressante à mes yeux mais il a fallu trancher et c'est au gré de mes digressions sur Twitter que mon choix s'est porté sur le jeune héro fugace de cet article : Jean Louis François Pelletier.


Un Picard sans histoire


Jean Louis François Pelletier (sosa 276-G9 de mes filles) est né dans le petit village de Bernoville, dans l'Aisne, le 20 décembre 1783. Il est le fils de Jean Louis François (1748 - an V), valet de charrue et de Marie Madeleine Augustine Poullain (1755 - 1833), fileuse. Par la suite, il emménage avec ses parents dans le village de Grougis, situé à quelques kilomètres. Il y rencontre Marie Marguerite Célinie Mariage (1779 - 1818) - rien à voir avec les Frères accros au thé - qu'il épouse le 26 nivôse de l'an X de la République. Il a tout juste 18 ans et elle 22 ans. Ils auront un fils deux ans plus tard, Louis François. Ensuite plus rien.

Plus rien ? Non, pas d'autres enfants, pas d'acte de décès, rien. 

Mais alors, où est-il ?

J'ai débuté les recherches sur cet ancêtre alors que les différents projets d'indexation de Geneanet n'existent pas encore. J'étais d'ailleurs encore débutant en généalogie et ne faisais pas encore de parallèle avec l'Histoire de France, à tort évidemment. J'ai donc cherché son acte de décès un peu partout, en vain, jusqu'à ce que je tombe sur l'acte de remariage de son épouse, toujours à Grougis, en 1816. Quand on tourne en rond, on en oublie son centre... Je ne vais pas détailler cet acte, car ce n'est pas le sujet ici, mais simplement souligner un élément essentiel qui est mentionné :




« [...] Laquelle ayant eu pour mari le Sr François Pelletier mort depuis plusieurs années aux armées [...] »


Stupeur ! A cette époque encore on indiquait d'habitude la date et le lieu du décès de l'époux et l'acte de décès devait être annexé à celui du mariage. Ici, il est simplement indiqué qu'il est décédé sans préciser l'année ni le lieu. L'élément intéressant reste l'évocation de l'armée. Cela signifie que notre ancêtre est mort soit sur un champ de bataille - ou dans un hôpital - soit pendant un exercice.

Plus tard, je me suis intéressé à son fils, Louis François, sosa 138, qui est décédé jeune, en 1831, à l'âge de 27 ans. Son acte de décès indique la même information sur son père :



« [...] Fils de François Pelletier présumé mort aux armées [...] »

On notera qu'une certitude en 1816 devient une présomption en 1831...


L'Armée de Napoléon


Les fonds de l'enregistrement (série 3Q) du département de l'Aisne n'étant pas en ligne, il a bien fallu chercher d'autres sources pour mettre la main sur ce pauvre disparu. C'est seulement à ce moment-là que j'ai pensé à l'Armée Impériale. François Pelletier étant né en 1783, il y avait de fortes chances qu'il fût enrôlé dans ladite armée. Le hic, c'est que je n'avais aucun moyen simple de le retrouver dans les registres de contrôles de troupes pourtant en ligne sur le site « Mémoire des Hommes » du SHD : je ne connaissais pas le régiment auquel il aurait éventuellement appartenu !
Le moyen de retrouver ce régiment était de déterminer au préalable la répartition des conscrits selon le département et c'est finalement un document essentiel partagé sur le fameux site napoleon.org qui m'a mis sur la voie : « l'état des conscrit que chaque département doit fournir sur la classe 1806, et désignation des corps sur lesquels ils doivent être dirigés ». 



Extrait du bulletin des lois n°1809, lien ci-dessus



Pour le département de l'Aisne, ce document indique que les conscrits devaient faire partie du 32e régiment de ligne. Bien que notre ancêtre devait être a priori de la classe de 1803, je me suis précipité sur les registres numérisés de ce régiment. Il y en a plusieurs en fonction des années mais fort heureusement il y a des tables en fin de registre.

J'ai finalement trouvé mon bonheur sous la cote GR 21 YC 283, page 87 sur 551, matricule n°4096 !




Je note que sur cette fiche il y a une erreur sur son année de naissance : 1785 au lieu, de 1783, ce qui l'a conduit à être conscrit seulement durant l'an XIII. Il y a également une erreur sur sa commune de résidence, notée Grugny au lieu de Grougis.
Pour le reste, on voit qu'au niveau de son signalement, c'était un homme tout à faire ordinaire, mais moins grand que l'Empereur lui-même, 1m61 contre 1m68 selon les sources. On rappellera par ailleurs de ces tailles étaient tout à fait dans la moyenne française pour l'époque contrairement à ce qu'on voudrait encore nous faire croire aujourd'hui.

Les informations les plus intéressantes viennent ensuite : ses affectations et les campagnes auxquelles il a participé.


La bataille de Talavera de la Reina


Toujours d'après le registre, notre Picard prend part aux guerres napoléoniennes et se retrouve très loin de chez lui puisqu'entre 1806 et 1807 il est indiqué être en Prusse et en Pologne, sans doute enrôlé à la guerre de la Quatrième Coalition qui fut formée le 1er octobre 1806 contre la France par le Royaume-Uni, la Russie, la Suède et la Prusse, cette dernière n'acceptant pas la réorganisation de l'Allemagne imposée par Napoléon. 

Ensuite entre 1808 et 1809, son régiment part en Espagne, François Pelletier faisant partie de la 3e Compagnie de Voltigeurs depuis le 1er juin 1808. C'est dans la péninsule ibérique que son destin va alors basculer. Il n'y a guère plus de précisions sur le registre que la phrase suivante : « Rayé des contrôles le 15 mai 1810 pour longue absence, étant à l'hôpital depuis le 29 juillet 1809 ».

La mention du 29 juillet 1809 est un indice précieux car c'est le lendemain de la terrible bataille de Talavera qui opposa la France et la coalition anglo-espagnole, l'Espagne étant sous domination française avec le frère aîné de Napoléon, Joseph, comme roi d'Espagne à ce moment-là. Le 32e ligne dont faisait partie François Pelletier était bien présent à cette bataille, intégré au 4e corps de l'armée d'Espagne que commandait le Général Horace Sébastiani pour le compte de Joseph Bonaparte. Face à eux il y avait les armées britanniques du Général Wellesley et espagnoles du Général La Cuesta. Ce fut un massacre sans nom qui dura deux jours et qui laissa des milliers de morts dans chacun des camps. Il est dit que les blessés furent abandonnés sur place, certains dans les hôpitaux et d'autres qui périrent dans les flammes des incendies qui s'étaient déclarés durant la bataille.

Ma supposition est la suivante : François Pelletier, arraché de sa campagne (et à sa compagne !) pour faire campagne, faisait partie des blessés français qui ont pu accéder à l'un des hôpitaux de Talavera mais y est mort de ses blessures dans l'oubli absolu. Sa veuve aura attendu dix ans pour se remarier. Pour l'heure, il semble qu'il n'y ait pas d'archives en ligne concernant la province espagnole de Tolède, même sur Familysearch, pour vérifier cette hypothèse.



Bataille de Talavera - Source Gallica



Et si François Pelletier avait survécu et refait sa vie en Espagne ?


Mes Sources:

- Archives départementales de l'Aisne
- Gallica
- Mémoire des Hommes
- Napoleon.org
- Wikipedia

samedi 19 septembre 2020

RDV Ancestral : voyage dans l'au-delà, épisode 6

Si vous avez raté le cinquième épisode, c'est par ici !


Résumé des épisodes précédents : je suis dans l'au-delà ! Mort ou bien quoi ? Quoi qu'il en soit, avec ma voiture aussi indemne que moi, j'en profite pour revoir mes proches décédés avant moi : d'abord mon père à Longjumeau puis son père et sa mère à Aubervilliers. Premier problème : je ne peux pas voir ma grand-mère, passée de l'autre côté dix ans avant ma naissance. Après avoir brièvement discuté avec le mur qu'est mon grand-père au sujet de son implication dans la Résistance, je décide de laisser mon père auprès de ses parents et reprend ma route vers Paris Montparnasse, chez ma cousine éloignée, Paulette. Là j'y retrouve d'abord sa mère, Mémé Jeanne, seule personne née au 19e siècle que j'ai connue. Ensuite sa première fille Marie-Jeanne, qui m'est invisible, et enfin Paulette. La discussion de famille n'est qu'une digression de ma quête et se termine par le départ précipitée de la fille âinée. J'emmène alors ma cousine et sa mère à Château-Thierry, chez Berthe, mon arrière-grand-mère, cousine germaine de Mémé Jeanne. Mon but est tout trouvé : retrouver cet arrière-grand-père dont je ne connais pas le visage, l'ex époux de Berthe, Paul Victor Bousse. Mais sans l'aide de Berthe, c'est impossible. Et pour avoir l'aide de Berthe, il me faut l'aide des cousines toujours à cause de ce point bloquant : l'invisibilité des personnes que je n'ai pas connues de leur vivant. Après force persuasion, Berthe est d'accord pour nous accompagner, ainsi que sa soeur Jeannette. Je reprends donc mon road-trip en compagnie de quatre octogénaires afin de réunir tout le monde à Aubervilliers. Que cela va-t-il donner ?



Mes 4 accompagnatrices : Berthe, Jeannette, Paulette et Jeanne



Moyenne d'âge dans la voiture ? 75 ans ! je fais office de petit jeune avec mes presque 40 ans. Mémé Jeanne en avait 96 lors de son décès en 1988, Paulette 83 ans en 2002 tandis que Berthe et sa soeur Jeannette en comptaient 80 toutes les deux lorsqu'elles sont parties respectivement en 1969 et 1979. Paulette est à l'avant avec moi alors que sa mère est à l'arrière pour tenir la discussion avec ses cousines germaines. Enfin, pour moi, elle parle dans le vide. Quelle curieuse situation de ne pouvoir apercevoir ces défuntes parties avant ma naissance, on se croirait dans un roman de H.G. Welles* ! Je lance alors à Paulette :

- Dis donc Paulette, n'avez-vous jamais essayé de trouver un moyen de voir les invisibles ?
- Mais non, cela ne nous est jamais venu à l'esprit, me répond-elle.
- Pourquoi donc ? Je crois me souvenir que tu n'as connu qu'une seule grand-mère.
- Je recherche déjà mon père, comme tu sais, et j'ai l'impression qu'il va me falloir des siècles ! Alors mes grands-parents... D'ailleurs sa mère, qui est morte après lui, je n'ai même pas commencée à la chercher. Bref ! 
- Donc on va continuer à devoir communiquer de cette façon ? C'est frustrant de ne pas pouvoir parler directement à Berthe et Jeannette.
- Elles pensent la même chose maintenant que tu es là, me crie sa mère depuis l'arrière de la voiture. Avant ton arrivée, elles étaient comme Paulette et moi : ça ne leur a pas trop traversé l'esprit. Elles ont vite retrouvé leurs maris et leurs parents.
- Ok, admets-je, mais Giselle alors ?
- Berthe dit qu'elle a été très bouleversée quand Jeannette lui a appris le décès de sa fille seulement un an après elle, me répond Paulette, et quand elle a enfin fait son deuil, elle a réalisé que c'était trop compliqué d'aller à Aubervilliers sans moyen de locomotion. A présent tu es là et elle est finalement ravie de s'être laissée convaincre de t'aider.

Le trajet est encore long jusqu'à Aubervilliers alors je me permets cette digression quand je reprends la parole à l'intention de Jeanne :
- Pourriez-vous demander à Jeannette si elle a évoqué la malédiction du 19 avril à Berthe ?
- Tu crois que c'est le moment de parler de cela ? me répond Jeannette par l'intermédiaire de Jeanne. Ma soeur a été très peinée par cette terrible nouvelle, même ici. Toutes mortes que nous sommes, nous ne pouvons pas accepter que nos proches nous rejoignent de si bonne heure. Pour répondre à ta question, oui, elle sait. Pas besoin d'en rajouter.

La malédiction du 19 avril, c'est en tout cas comme ça que je l'appelle. Mon arrière-grand-mère Berthe est décédée le 19 avril 1969, probablement de vieillesse mais elle était aussi atteinte d'une forme de cancer. Ma grand-mère Giselle est décédée un an plus tard, jour pour jour, d'un cancer inopérable. Depuis, Jeannette, soeur de Berthe et tante de Giselle, avait une peur bleue de s'en aller à son tour à cette cruelle date. C'est finalement arrivé en août 1979. Exit, le syndrôme de l'anniversaire. Ironie du sort, j'ai été baptisé un 19 avril, lors du 50e anniversaire de mariage de mes autres grands-parents. 

Je chasse vite ces deuils de mon esprit pour revenir au premier sujet : les invisibles. Il me faut trouver un moyen de communiquer avec eux. Après tout, dans cette réalité parallèle, cet au-delà, cet enfer, quel que soit le nom qu'on puisse lui donner, les lois de la physique sont différentes. Il doit exister une solution à mon problème !

- Mesdames, ce n'est pas tout ça mais il faudrait qu'on réussisse à rendre visible les personnes qui ne me le sont pas. Et avant qu'on arrive à Aubervillers, si possible.
- Franchement, je n'ai pas d'idée, soupire Paulette.
- Moi non plus, fait sa mère en écho, j'ai demandé aux cousines mais elles restent muettes.
- Bon, déjà, elles ont bien réussi à rentrer dans ma voiture. Moi, je ne vois pas les bâtiments anciens, mais pour vous, ma Scenic ne semble avoir aucun secret ! finis-je, presque emporté.
- Scenic ? Qu'est-ce que c'est ? me questionne Jeanne, incrédule.
- Bah, c'est ma voiture. Le modèle.
- C'est curieux, reprend la vieille dame, mais pour moi nous sommes dans une R11; j'en voyais pas mal à mon époque, à Paris, enfin avant que je reste clouée sur mon fauteuil.
- Hein ?
- Ah ? Moi j'avais cru voir écrit Laguna à l'arrière, continue Paulette, et vous les cousines ?
- Berthe n'y connaît rien, elle n'a jamais eu de voiture, mais elle a clairement vu une Renault 16 tandis que pour Jeannette, nous sommes dans une R18.


De la R16 de 1965 à la Scénic de 2015. Bon, on ne va pas faire la généalogie de la marque Renault, non plus...


Je suis sidéré ! Même les objets ont l'air de s'adapter à l'époque vécue par mes ancêtres et collatérales ! Je ne suis pas sorti des ronces ! Bon, je vais mettre la radio, on va bien voir leur réaction. C'est encore du foot mais cette fois, ce n'est pas Eugène Saccomano qui est aux commentaires mais Guy Kédia, ancien journaliste sportif, disparu en 2016. 

- Oh Renaud, tu n'as pas autre chose que du sport ? s'exclame Paulette.
- Ah, tu entends la même chose que moi alors ? Et Mémé Jeanne ?
- Comme Paulette, on dirait du sport.

Je ne m'emballe pas de trop car Guy Kédia a été journaliste sportif dès la fin des années 70 donc même Jeannette pourrait le reconnaître. Ce n'est pas la peine de leur demander de me décrire le match qui est commenté : elles n'y connaissent rien. Malgré tout, il me reste à découvrir ce qui passe à la radio pour Berthe :

- Et Berthe ?
- Elle me dit reconnaître un jeune journaliste, me transmet Paulette, apparemment il relate les évènements de mai 68 ! Il dit s'appeler Kédia !

Ma parole, elles ont toutes connu l'ancien journaliste; à croire qu'elles écoutaient les mêmes stations de radio que moi. Tout cela ne m'amène pas bien loin dans ma tentative de résoudre mon problème de visibilité... Aubervillers n'étant plus très loin, je dois me résigner à rejoindre mon père et mes grands-parents sans solution. Ils se verront tous les uns les autres tandis que ma grand-mère, sa mère et sa tante me resteront inconnues. Devrai-je me consoler avec mon souvenir photographique ? 

Avant de sortir de l'autoroute A1 et de m'engager sur le boulevard périphérique, Mémé Jeanne m'interpelle subitement :

- Berthe est finalement curieuse, que pourrais-tu lui révéler sur ce filou de Paul Bousse ?
- Nous arrivons presque à destination, mesdames, je vous raconterai tout ça une fois installés chez Marcel, mais je vous préviens : vous allez être suprises.

Pour sûr, elles vont l'être. 



Mais qui est Paul Victor Bousse ?





* lire « l'homme invisible » (1897)


En route pour l'épisode 7 !

samedi 5 septembre 2020

Jules Daisay : son dossier militaire

Voici un article en marge du généathème que j'avais dédié à Jules Daisay, le peintre savoyard, sosa 58 de mes filles, de qui j'ai toujours le projet d'écrire la biographie.

Ici, je vais m'arrêter sur sa carrière militaire car, chance inouïe, il a été officier et son dossier est conservé au Service Historique de la Défense à Vincennes.

En effet, quand le nouveau portail Internet de ce dernier a été mis en ligne, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir la possibilité de réaliser une recherche nomintative !




Sa fiche matricule que l'on trouve en ligne sur le site des archives de la Savoie contient de de nombreuses informations mais il y en a justement tellement qu'elle en est quasi illisible :



Le dossier de carrière va donc nous permettre d'en savoir davantage mais que contient-il exactement ?


Un état des services


Outre des renseignements d'état civil, ce document récapitule synthétiquement la carrière militaire du conscrit et ses différents grades :




On apprend que Jules Daisay est entré au service comme appelé en 1868, qu'il a participé à la guerre de 1870 et qu'il a démissionné en 1892 (nous verrons ensuite pourquoi). Son dernier grade était capitaine en second.


Rapports d'inspection générale



Dans l'exemple ci-dessous daté de 1888, on rappelle des éléments d'état civil, son signalement, son instruction et ses aptitudes militaires.




En conclusion du document, il y a l'appréciation générale du chef de corps (ou de service). Ici, il y est notamment précisé que Jules Daisay était un excellent officier.


Des documents d'état civil


Dans le dossier de carrière de Jules Daisay, on retrouve une copie intégrale de son acte de naissance ainsi qu'un certificat de mariage d'officier. Il s'est en effet marié en 1873 alors qu'il était sous-lieutenant du 8e régiment territorial d'artillerie.





Des mémoires de proposition à un grade supérieur


Document synthétique proposant le militaire au grade de sous-lieutenant pour cet exemple rappelant :
  1. Des indications sur le militaire (grade actuel, état civil, aptitudes);
  2. La durée des services et des campagnes ainsi que les blessures;
  3. Les faits de guerre;
  4. Un extrait des notes (évaluations, appréciations, statuts);
  5. Son rang de préférence parmi n candidats (ici, 13 sur 23);
  6. Les observations éventuelles.



On retiendra ici que l'avis fut favorable : « Fera un bon officier de troupe (Sections de Munitions) ».


La correspondance


Nous l'avons vu au début de cet article, Jules Daisay a démissionné de son grade en 1892. La majeure partie des lettres de correspondances renfermée dans son dossier de carrière concerne donc ce sujet. Je vous en partage ici une écrite par notre ancêtre lui-même :




On apprendra dans d'autres correspondances ses raisons. Il y en avait deux : tout d'abord pour raison de santé, Jules Daisay étant malade chronique du foie, mais aussi pour des raisons financières : il ne pouvait renouveler sa tenue militaire faute de moyens. Pour l'anecdote, j'ignorais que les tenues étaient à la charge des militaires eux-mêmes. Cette proposition de démission devait être soumise au Ministre de la Guerre puis au Président de la République mais je doute que Patrice de Mac Mahon, président d'alors, l'ait eue entre ses mains...





Sources : SHD de Vincennes, cote GR 5 YE 55841.
Photos : Brigitte S. (@Chroniques92), grand merci à elle.