lundi 25 mai 2020

Généathème : mon grand-père, tourneur sur métaux

Sophie Boudarel du blog La Gazette des Ancêtres et désormais Geneatech nous proposent chaque mois un généathème pour nous donner des idées de publications. Pour le mois de mai 2020, la nouvelle idée était d'exposer un métier d'art tel que défini par par l'Institut National des Métiers d'Art (INMA), exercé par un ou plusieurs ancêtres.

Le généathème du mois de mars m'avait déjà permis de présenter le métier de professeur de dessin d'Henri Tamiatto, AGP de mes filles et la généalogie30 du mois d'avril l'artiste-peintre Jules Daisay, leur sosa n°58.

Cela suffit donc côté peinture, passons à un métier qui n'a rien à voir : tourneur sur métaux. Tout d'abord qu'est ce que ce métier ? Voyons la définition donnée par l'INMA :

Le tourneur sur métal façonne une pièce en rotation par enlèvement de matière ou repoussage. Il maîtrise la technique du tournage traditionnel, où l'outil est tenu à la main, et l'utlisation de tours semi-automatiques et automatiques. Ses réalisations sont multiples : pièces d'orfèvrerie, luminaires, sculptures...

Et c'est ce métier qu'exerçait mon grand-père paternel : Marcel Joseph François Bourdin-Grimaud.



Mon grand-père, à droite, dans un atelier de tournage vers fin années 20 - Archive familiale 


Marcel est né à Paris, 10è arrondissement, le 14 septembre 1907, de Joseph, Cocher-Livreur de vin, et de Marie Céline Bernoville, demoiselle de magasin puis ouvrière. Je ne sais pas comment lui est venue l'envie ou l'idée de devenir tourneur car c'est le seul de sa famille à avoir exercé ce métier et nous allons voir tout de suite que c'est le seul qu'il ait jamais exercé de toute sa carrière mais pas pour toujours les mêmes destinations.

novembre 1926 : société Ferbois


Le certificat suivant montre que Marcel a travaillé à la Courneuve, au sein de la société Ferbois en novembre 1926. Il avait alors 19 ans. Je n'ai aucune idée de ce que cette société produisait mis à part qu'elle était spécialisée dans le bois et le fer, d'où son nom.


Certificat de travail de la société Ferbois (1926) - Archive familiale


Décembre 1926 : société Worthington


Worthington est une grande société qui existe toujours et a priori toujours spécialisée dans les pompes et compresseurs, entre autres. Elle a employé mon grand-père quelques semaines entre novembre et décembre 1926 dans son usine du Bourget. Il devait sûrement y usiner des pièces détachées pour lesdites pompes.

Certificat de travail de la société Worthington (1926) - Archive familiale

Entre 1929 et 1939 : société Munsch


Entre 1927 et 1929, Marcel a fait son service militaire au 48e régiment d'infanterie dont il a été promu caporal en 1928. J'ignore ce qu'il a accompli durant cette période.
Il a donc repris son travail de tourneur en 1929 dans l'atelier Munsch. J'ai retrouvé trois certificats de cette même société, un atelier de mécanique qui réparait les automobiles et motocyclettes. Cet atelier se trouvait à Aubervilliers où vivait Marcel par ailleurs.  
L'un de ces certificats est intéressant et fait état d'une époque qui n'est plus la nôtre : 


Certficat de travail de la société E.Munsch (1932) - Archive familiale

« Je soussigné E. Munsch Mécanicien 156 rue de la Goutte d'Or Aubervilliers certifie avoir réemployé Monsieur Bourdin Marcel 48 rue Solférino à Aubervilliers en qualité de tourneur du 22 août 1932 au 13 septembre 1932. Qu'il me quitte ce jour pour manque de travail libre de tout engagement. En foi de quoi je lui délivre le présent certificat. Aubervilliers le 13 septembre 1932.»


Devinez quoi ? Si aujourd'hui le nom de la rue a changé (rue André-Karman), il semble qu'il y existe encore un atelier de réparation au même numéro !


Image Google


1939-1945 : seconde guerre mondiale


De cette période, je ne sais que peu de choses sur Marcel. Sur le dernier certificat de la société Munsch, en date du 2 septembre 1939, on voit qu'il quitte l'atelier pour cause de mobilisation mais à ce que je sais, il n'est jamais allé au front. Toutefois, il y a un trou de deux mois sur sa fiche matricule.

Sur cette dernière, on découvre qu'il a été classé dans l'affectation spéciale pour une durée indéterminée au titre des établissements Lavaur : je n'ai aucun document en ma possession sur ces établissements qui étaient dans le 10e arrondissement de Paris. C'est seulement grâce à la transmission familiale que je sais que cette société, qui porte le nom de son propriétaire, a sans doute été la dernière de la carrière de mon grand-père. 

Je retrouve ensuite la trace de Marcel en 1943 : il a été requis du STO et envoyé à Berlin. Ce sont sans doute ses compétences de tourneur qui l'ont amené à travailler chez Argus Motoren Werke, spécialiste dans les moteurs d'avions.


Carte de requis du STO (1943) - SHD Caen


J'ai déjà raconté dans un RDV Ancestral qu'il se serait ensuite évadé de Berlin et qu'il a obtenu le statut de réfractaire donc je ne reviens pas dessus. Qu'a-t-il fait en 1944 et 1945 ? Mystère si ce n'est qu'il devait être à Paris puisqu'il y a rencontré ma grand-mère, Gisèle Bousse, et l'a épousée le 4 août 1945.

Après la guerre


Mes grands-parents, une fois mariés, ont toujours vécu à la même adresse à Aubervilliers où est d'ailleurs né mon père, leur enfant unique, en 1947. Marcel a repris le travail aux établissements Lavaur à une date qui m'est inconnue tout comme celle de son départ à la retraite. Je sais simplement comme dit plus haut qu'il y a sans doute terminé sa carrière. Par exemple, l'histoire familiale raconte que, prétextant ne pas avoir les moyens, Marcel aurait demandé à M. Lavaur de régler la concession de sa mère, décédée en 1954. En réalité, il n'avait pas de problèmes d'argent...

Pour finir, deux anecdotes à propos de son métier :

  • D'après ma famille, mon grand-père, personnage fort en gueule, prétendait changer d'employeur dès qu'une situation ne lui plaisait pas et qu'il lui suffisait de traverser la rue (comme dirait ...) pour trouver un autre travail. Les certificats que j'ai en ma possession montrent plutôt qu'il n'a pas collectionné les emplois tant que ça.

  • Toujours d'après ma famille, les conditions de travail dans les ateliers étaient tellement difficiles, notamment à cause de la chaleur extrême, que mon grand-père et ses collègues passaient leur temps à boire. De l'eau ? Non ! Du vin, et 12 litres par jour... vrai ou pas ? Les deux infarctus puis l'AVC qui a eu raison de la vie de Marcel en 1982 pourraient en attester.

samedi 16 mai 2020

RDV Ancestral : voyage dans l'au-delà, épisode 4

Si vous avez raté le troisième épisode, rendez-vous ici !

Résumé des épisodes précédents : j'ai eu un accident de voiture sur l'autoroute en allant chez ma mère à Longjumeau. Miraculeusement indemnes, l'autre conducteur et moi-même constatons rapidement qu'il y a un problème : le monde s'est brutalement obscurci alors que nous étions en plein jour. J'ai quand même poursuivi mon chemin avec ma voiture accidentée, constatant avec effroi qu'il n'y avait pas âme qui vive autour de moi. 
Arrivé sur place, ce n'est pas ma mère que j'ai retrouvée mais mon père pourtant décédé depuis près de 3 ans. Il m'a alors raconté que j'étais comme lui : mort, ce que je ne voulais pas croire malgré des arguments de taille : sa présence ici bas, l'étrange apparence du monde, ses interactions avec les voisins eux aussi décédés... 
Je ne me suis alors pas démonté et lui ai demandé d'aller rencontrer ses parents à Aubervilliers ce qu'il a accepté. Une fois arrivés, j'ai découvert une règle aussi étrange que le monde dans lequel j'ai atterri : je ne pouvais voir que les personnes que j'ai connus de mon vivant ! Impossible donc de discuter autrement que par intermédiaires avec ma grand-mère décédée 10 ans avant ma naissance. J'ai donc laissé mon père s'entretenir avec elle et ai tenté de relater la seconde guerre mondiale avec mon aïeul qui a été requis du STO puis résistant après son évasion de Berlin. Si j'ai pu prouver la véracité des faits concernant le STO, il n'en est rien pour le reste et mon grand-père Marcel n'a rien voulu me révéler à ce sujet. 
Devant cet échec j'ai décidé de laisser mon père Bernard avec ses parents puis ai repris la route en direction du quartier de la tour Montparnasse de Paris pour y rencontrer la cousine de ma grand-mère, Paulette, que je considérais comme une aïeule de subsitution. Bavarde de son vivant, je me suis dit qu'elle m'en raconterait beaucoup au sujet ma grand-mère et surtout de son père dont le visage m'a toujours été inconnu. 
Cela a été un nouvel échec ! Au lieu de Paulette, c'est sa mère que j'ai retrouvée, et, alors que nous discutions généalogie, nous avons été interrompus par une invitée surprise...


Les protagonistes jusqu'ici.



- Oh ! Jeanne-Marie, c'est bien toi ? Demande donc « Mémé Jeanne » , en pleurs, à la personne invisible qui se trouve devant elle. 

Un sourire se dessine enfin sur son visage, signifiant que la réponse est positive, mais les larmes coulent toujours sur ses joues. Cela ne m'étonne absolument pas : sa fille aînée avait coupé les ponts avec elle et sa soeur aux environs de la seconde guerre mondiale sans donner aucune explication. Elle n'avait plus jamais donné signe de vie depuis lors. Pas une lettre, pas même un coup de téléphone, rien.
Le pire dans tout cela, c'est que la nonagénaire n'a finalement jamais su qu'elle avait survécu à sa fille : Jeanne-Marie Coquelet, née à Saint-Quentin (Aisne) en 1910, est décédée 10 ans avant sa mère, en 1978 au Cateau-Cambrésis (Nord).

Je ne sais pas si l'heure est à réconciliation pour elles mais toujours est-il que Jeanne-Marie a mis plus de 40 ans pour retrouver sa mère. C'est signe d'une certaine volonté à recoller les morceaux. Peut-être me trompé-je après tout : dans cette espèce de Dark City* tout le monde m'a dit que le temps ne défile pas de la même façon que chez les vivants.

Comme cette histoire de famille ne me regarde en rien, je décide de tourner les talons non sans avoir dit au revoir à ma vieille cousine qui regrette presque mon départ. Alors que je m'apprête à franchir le pas de la porte, j'aperçois une autre personne arriver à mon encontre : c'est une vieille dame aux cheveux blancs que je reconnais sans peine, Paulette ! Quelle coïncidence, je me retrouve avec presque toute la famille, le père faisant manifestement toujours défaut.


Jeanne-Marie et Paulette Coquelet. Au milieu, probablement Louis Raffin, premier mari de Jeanne-Marie. Avant années 40 - archive familiale

- Oh, Renaud ! Je ne m'attendais pas à te voir ici ! Tu n'as pas beaucoup changé ! Cela veut dire que...
- Oui, bon, ça va, ça devient récurrent, là. Oui, je me retrouve ici à même pas 40 ans. Mais entre donc, apparemment ta soeur est là aussi.

Ce que je n'ai pas dit là ! Le visage de Paulette s'assombrit aussitôt et ne laisse plus transparaître que de la colère. Même ses yeux bleus que j'ai toujours connus pétillants ne forment plus qu'un amas oculaire torve. 

- Bon je vais peut-être vous laisser entre vous, hein...
- Reste ici, me répond Paulette d'un ton sec, c'est elle qui va s'en aller sur-le-champ.
- Mais si elle est venue ici, c'est bien parce qu'elle a envie de se faire pardonner quelque chose, non ?
- Elle aurait dû le faire de son vivant ! Maman n'a même pas su qu'elle était morte, c'est moi qui ai dû le lui dire quand je suis arrivée ici. Tu te rends compte ? Elle a eu quatre enfants et je n'ai connu que l'aîné. Et encore, il avait 12 ans la dernière fois que je l'ai vu. Après, plus rien.

Le sourire de « Mémé Jeanne » a disparu. Cette dernière est désormais totalement effacée, comme absente, résignée, tandis que Paulette ne décolère pas. Pendant ce temps, je ressens comme un souffle qui me frôle avant de s'échapper par la porte d'entrée, la claquant derrière lui. Je comprends que Jeanne-Marie est partie.

- Voilà, c'est réglé, dit Paulette, satisfaite.
- Qu'a-t-elle dit ? tenté-je alors.
- Elle a dit qu'elle regrettait, me répond leur mère, revenue à elle. J'espère qu'elle reviendra, tu as été dure, Paulette.
- Non, je suis déçue, comme une soeur peut l'être au bout de tant d'années. Tu es bien trop indulgente, maman.
- Vous vous entendiez si bien pourtant, avant qu'elle ne s'en aille... 

Sur ce point-ci, Marie-Jeanne Leroy n'a pas vraiment tort. J'en veux pour preuve toutes ces photos où les deux soeurs sont radieuses. Voilà encore un mystère que ne sera pas résolu : les raisons de cette brouille.


Les deux soeurs avec un homme que je n'ai pas encore identifié avec certitude. Peut-être le mari de Paulette, ce qui daterait la photo aux alentours de 1938 - Archive familiale.

Paulette, après avoir étreint sa mère, revient vers moi :

- Bon, et sinon, pourquoi es-tu venu ici ? Cela me fait plaisir de te voir.

Je lui explique alors mon périple depuis mon accident de voiture et finit par revenir sur le père de ma grand-mère : Paul Victor Bousse, seul AAGP de mes filles dont je ne connais pas le visage.

- Le père Bousse ? Maman ne t'a pas dit qu'il n'en valait pas le coup, si ? Et puis, tu sais bien qu'ici tu ne peux réellement voir que les gens que tu as connu de ton vivant. Tu ne seras pas plus avancé si tu le retrouves... En plus tu auras besoin de Berthe, ton arrière-grand-mère et par conséquent quelqu'un qui l'a connue elle aussi.
- Je suis curieux, ma chère cousine. Ne voudrais-tu pas venir avec moi à Château-Thierry pour la retrouver ? Pour l'instant je laisse mon père avec ses parents mais on pourra les retrouver plus tard, qu'en dis-tu ?

Paulette réfléchit, regarde sa mère qui lui fait un signe approbateur, puis revient vers moi, de nouveau souriante :
- C'est d'accord mais on emmène maman ! Nous serons ravies de revoir notre chère cousine.

Tiens, ça me rappelle un certain RDV ancestral...


* Dark City : film réalisé par Alex Proyas, sorti en 1998.