vendredi 27 mai 2022

Joseph, mort en pleine rue

Joseph, c'est mon arrière-grand-père, sosa 16 de mes filles. J'en ai déjà parlé dans deux précédents billets : ici et . Ce nouveau billet voit le jour car j'ai enfin pu retracer ses dernières heures avant sa mort subite, en pleine rue, dans le 7e arrondissement de Paris. C'était le 9 mars 1927, vers 15h15, comme attesté dans l'acte de décès ci-dessous :



AD de Joseph Bourdin-Grimaud - 1927 - Paris VIIe - Source AD75


« Le neuf mars mil neuf cent vingt-sept, quinze heure quinze minutes, est décédé en face le N°107 de la rue Saint Dominique Joseph BOURDIN-GRIMAUD, domicilié à Pantin (Seine) 48 avenue Jean Jaurès, né à Pantin, le vingt novembre mil huit cent quatre vingt-un, cocher-livreur, fils de Julien BOURDIN-GRIMAUD et de Jeanne NARD, époux décédés. Epoux de Marie Céline BERNOVILLE.- Dressé le dix mars mil neuf cent vingt-sept, douze heures, sur la déclaration de Maurice PORT, trente-deux ans, employé, domicilié, 122 rue de Grenelle, qui, lecture faite, a signé avec Nous, Jean Marie Raymond Laburthe, adjoint au Marie au septième arrondissement de Paris./.»


Ce que nous apprend l'acte


Cet acte, comme de nombreux actes de décès, outre son état civil, ne nous apprend pas grand chose sur Joseph hormis deux éléments :
  • Il n'est pas décédé en son domicile, ni à l'hôpital mais a priori dehors, en pleine rue.
  • Le décès a été déclaré le lendemain par un employé d'une société de pompes funèbres. L'acte ne le dit pas explicitement mais une recherche sur l'adresse de l'employé a permis de le démontrer. D'ailleurs, il existe toujours une société funéraire à cette adresse de nos jours.

Ce que disait la mémoire familiale


Je n'ai pas connu mon grand-père, fils unique de Joseph, pas plus que mon père n'a connu le sien, donc Joseph, décédé 20 ans plus tôt que sa naissance. Mon père ne savait donc quasiment rien sur son grand-père et son père ne lui en parlait jamais. Nous savions simplement que Joseph était supposément décédé d'une crise cardiaque causée par ses excès. En effet, toujours selon mon père, Joseph était livreur de vin mais devait aussi en consommer au-delà du raisonnable. Soit, tout cela reste des suppositions.


Un service d'archives peu connu


Ce que j'ignorais au début de mes recherches généalogiques (l'acte de décès de Joseph est un des tout premiers que j'ai obtenus en 2004) mais que j'ai découvert fortuitement quelques années plus tard est que les morts subites sur la voie publique devaient faire l'objet d'un signalement au commissariat de police local. Il me fallait donc avoir accès aux archives des mains courantes du commissariat du quartier où est décédé Joseph : celui du Gros Caillou. Pour ce faire, il existe un service d'archives peu connu mais bien utile : les archives de la Préfecture de Police sises au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) qui conservent les archives des commissariats des 80 quartiers de Paris ainsi que de quelques communes de l'ancienne Seine.


Les archives conservées


Outre les mains courantes que l'ont peut retrouver dans la sous-série CB, voici un extrait de ce qu'on peut trouver aux archives de la Préfecture de Police, certaines datant de l'ancien régime :
  • Les registres d'internement ;
  • L'institut médico-légale (morgue) ;
  • Les dossiers de personnel ;
  • Registres d'écrou ;
  • Fichier des étrangers et des personnes surveillées ;
  • Etc.
A noter que ces archives ont aussi subi les mêmes désagréments que celles de Paris, notamment lors de la Commune. Aussi, de nombreuses lacunes sont à déplorer.
La Revue Française en avait fait un article que je vous recommande : ici.


Revenons au cas de Joseph


J'avais prévu de très longue date de me rendre aux archives de la Préfecture de Police mais les aléas de la vie ainsi que la crise sanitaire de la Covid19 sont passés par là mais j'ai enfin pu m'y rendre au mois de mai 2022. J'ai fait chou blanc pour toutes mes recherches sauf pour mon AGP Joseph, ouf ! J'ai trouvé mon bonheur sous la cote CB 28.44 :



Déclaration de « mort subite » de Joseph Bourdin-Grimaud du 10/03/1927


« Déclaration faite par M. Germain Bruandet, 56 ans, charretier, habitant 27 rue des [Sept] Arpents à Pantin. »

« Bruandet dit qu'il est au même service que Bourdin chez M. Vergne fondeur de fer 23 rue de Paris à Pantin. Qu'ils avaient été chargés de conduire une voiture pour faire une livraison à Puteaux et à leur retour ils avaient pris de la fonte rue de Suffren pour la porter à Pantin. Bourdin montant en tête. Bruandet a vu rue Saint Dominique Bourdin s'affaisser sur sa voiture. Transporté à la pharmacie Guichon il a été constaté qu'il était mort. Certificat médical légal de Dr De St Albin concluant à mort due à une syncope cardiaque au cours d'une maladie de foie avec insuffisance rénale. »



Ce que m'apprend ce document


Ce document confirme en partie la mémoire familiale :
  • Joseph est bien décédé d'une crise cardiaque suite à une maladie touchant à la fois son foie et ses reins. Le raccourci est vite fait avec son penchant pour les tonneaux de vin mais :
  • Il n'a pas fait que livrer du vin au cours de sa carrière de cocher-livreur puisque ce jour fatidique il travaillait pour un fondeur de fer.
  • Ses trajets devaient être longs car ce jour-là son itinéraire devait être entre autres : Pantin - Puteaux - Paris VII (avenue de Suffren - Saint-Dominique) - Pantin.

Extrait d'un plan de Paris dressé par L. Guilmin en 1926 - Gallica


  • Grâce à Gallica, j'ai pu retrouver l'adresse de la pharmacie Guichon : au 88 de la rue Saint-Dominique, à l'angle avec la rue Malar. C'est toujours une pharmacie aujourd'hui. Le commissariat du Gros Caillou était lui au numéro 170.



Comparaison avant/après angle rue Saint-Dominique - rue Malar / CPA Delcampe - Google Street View



Conclusion


Je ne peux pas dire que j'ai beaucoup d'ancêtres pour qui j'ai pu retracer les dernières heures de vie. Ici, pour le cas de mon arrière-grand-père Joseph Bourdin-Grimaud, cela aurait été difficile voire impossible s'il était décédé paisiblement chez lui. Egalement, sans les archives de la Préfecture de Police, je ne serais pas arrivé à ce résultat. Il existe bien sûr d'autres archives liées à la police aux archives départementales et communales mais pas les mains courantes. Aussi, je ne saurais trop vous conseiller que de vous rendre à ces archives si vous avez un ancêtre / collatéral parisien décédé dans des circonstances étranges.


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