mercredi 5 février 2020

L'art de tourner en rond : le cas Auguste Conort

Cette histoire que je vais vous raconter s'est déroulée sur plusieurs années, je dirais trois au maximum. Je m'occupais alors de la généalogie de Madame et dans sa famille il y avait une vieille légende comme quoi un oncle centenaire serait décédé bêtement après être sorti en pleine nuit de sa maison d'habitation alors que l'hiver régnait en maître absolu.

Cet oncle s'appelle Jean Auguste Conort (ou Conord selon les actes) et la maison en question est un mas cévenol que la famille possède toujours aujourd'hui et ce depuis sept générations. Au début les recherches furent assez simples, il suffisait de partir de son acte de naissance, d'y ajouter une centaine d'années et de demander l'acte de décès à la commune où est situé le mas en question. 

Première demande : échec cuisant. La réponse de la mairie fut la suivante : « pas de décès à ce nom-là entre 1932 et 1952 ». Fin de l'histoire, légende enterrée. Mais alors, où est-il décédé, et quand ? Retraçons un peu sa vie en quelques dates :

Naissance, mariage et enfants


Jean Auguste Conort naît à Tarabias, hameau du Chambon, dans le Gard, le 27 mars 1841. C'est une chance d'avoir son acte de mariage car cette commune a été créée en 1839 par un démembrement de Sénéchas, commune voisine. Les premiers registres n'ont été établis qu'en 1841. « L'oncle Auguste » est le fils de Jean Baptiste Conort (1811-1885) et de Victoire Henriette Arnal (1812-1891), les sosas 120 et 121 de mes filles.


Actes paroissiaux et d'état civil du Chambon (1608-1932) » État civil » Actes » 1841-1842 - Image 35 sur 68

Il sera propriétaire cultivateur dans ce même hameau puis épousera en 1875 Marie Adeline Cartier (1842-1915) à Sénéchas. Elle lui donnera deux enfants qui, malheureusement, ne survivront pas à leurs parents. Il s'agit de :
  • Benjamin, Auguste (1881-1881)
  • Marie, Germaine, Henriette (1883-1903)
Avant qu'ils ne soient mis en ligne par les AD30, j'avais recherché cette famille dans les recensements de population. On la retrouve par exemple en 1891, avec la mère d'Auguste, toujours au hameau de Tarabias :


Listes nominatives de recensement de population (1836-1936) - 6 M » De Barjac à Chamborigaud » Chambon » 1891 - Image 11 sur 16


Veuvage


Auguste devient veuf en 1915 à l'âge 74 ans. Il se retrouve donc seul car il n'a plus aucun enfant vivant. Est-il resté vivre dans sa propriété de Tarabias ? Oui, dans un premier temps. Dans les recensements de 1921, on l'y retrouve bien, il a déjà 80 ans. En revanche, en 1926, on le retrouve au hameau du Cornas parmi certains enfants, restés célibataires, de son frère Félix Eugène Marcelin, sosa 60 de mes filles. C'est un indice car en fait ce frère habitait déjà à l'époque le fameux mas évoqué en introduction, son acte de décès en 1921 l'en atteste :


Décès au lieu-dit Prentigarde de Félix Eugène Conort en 1921 - source mairie du Chambon

En 1926 donc, Auguste a 85 ans et vit avec :
  • Alphonse Conort (1874-1953), son neveu et chef de ménage,
  • Célina Conort (1882-1957), sa nièce, institutrice à la Vernarède,
  • Suzanne Conort (1886-1960), son autre nièce, sans profession et qui a toujours vécu là.
En 1931, on le retrouve encore dans le mas et il a 90 ans ! Avec :
  • Alphonse,
  • Suzanne,
  • Alice Fabrègue (1915-1986), sa petite-nièce sans doute de passage.
Enfin en 1936, il a 95 ans et il est toujours là ! Avec :
  • Alphonse,
  • Suzanne,
  • Eugénie Conort (1865-1947), soeur aînée des précédents, directrice d'école à la retraite revenue là pour y finir ses jours.

Listes nominatives de recensement de population (1836-1936) - 6 M » De Barjac à Chamborigaud » Chambon » 1936 - image 11 sur 12


A l'époque de mes recherches, je n'avais pas regardé les recensements de 1946 car cela lui aurait fait 105 ans mais j'en savais assez pour relancer la mairie du Chambon quant à son acte de décès. J'avais bien insisté sur le fait que l'oncle Auguste avait vécu au mas de Prentigarde et donc au Chambon jusqu'en 1936.

Et bien non ! Secrétaire de mairie catégorique ! Retour à la case départ.


Recherches dans d'autres communes


Je ne me suis pas avoué vaincu pour autant. Profitant justement de mes vacances d'été à Prentigarde, j'ai décidé d'aller faire un tour à la commune voisine de la Vernarède où certains membres de la famille Conort sont décédés, comme Alphonse en 1953 ou Célina en 1957. Je me suis donc rendu à la mairie de ladite commune où un agent bien sympatique avait retourné tous ses registres, en vain. Il m'a alors suggéré deux autres communes : Chamborigaud, non loin de là, où il y a aujourd'hui une maison de retraite, et Alès, la plus grande ville avant Nîmes à trente minutes de route. Oui ! Mais à l'époque, combien de temps mettait-on pour s'y rendre !? Il faut savoir que le mas de Prentigarde est juché en haut de colline (environ 400m d'altitude) et que les pistes ne sont toujours pas goudronnées aujourd'hui (tant mieux d'ailleurs). Alors dans les années 30 je n'en parle même pas.

Trève de suspense : chou blanc à Chamborigaud. Idem à Alès.


Carte des environs du Chambon (OpenStreetMap)

Dernier recours : les tables de successions et absences


De retour dans le gris parisien sans l'acte de décès en poche, je me suis dit que je n'allais tout de même pas écrire à toutes les communes limitrophes du Chambon, cela n'avait pas de sens et mon intuition me disait de persévérer sur la légende familiale. J'ai donc eu recours au fameux Fil d'Ariane pour rechercher Auguste dans les tables de successions et absences du bureau de la Grand'Combe dont dépendait le Chambon à l'époque. Si Auguste n'est pas décédé au Chambon, il devait toujours y être domicilié !

La réponse a été rapide : je remercie les bénévoles de l'association une nouvelle fois !


Que voit-on ? Et bien il est décédé au Chambon !

Ni une, ni deux, j'envoie un email pour la troisième fois à la mairie du Chambon. Réponse le jour même :



Tadam !





Auguste Conort est donc décédé le 24 décembre 1940 à deux heures du matin au mas de Prentigarde trois mois avant de fêter son centième anniversaire. C'était bien en plein hiver, durant la nuit et il n'avait pas loin de 100 ans. La légende est ainsi finalement partiellement prouvée !


Conclusion


Je vais conclure avec cette citation que l'on peut trouver un peu partout sur les sites qui traitent de généalogie : « Les recherches par correspondance sont possibles à condition que la demande soit précise (date exacte de l’acte par exemple) et motivée. La Circulaire du 16 juin 1983 rappelle que les services d’archives publics n’ont pas à se substituer aux particuliers pour effectuer des recherches à leur place ».
Soit la secrétaire de mairie a appliqué cette circulaire sans me le dire, soit elle a eu la flemme de chercher. Dans les deux cas, avec seulement une dizaine de décès par an (avec tables !), il faut vraiment faire preuve de mauvaise volonté ou ne pas voir un éléphant dans un dé à coudre ! ;-)

Et surprise de dernière minute, voici Auguste Conort !

Auguste Conort - 1938-1939 - Croquis par Henri Tamiatto (1910-1998) - Famille Tamiatto-Bernardot

3 commentaires:

  1. En effet c'est un peu frustrant... Il y a ceci dit une autre option : peut-être qu'il y a un problème dans les tables justement (acte non reporté, ça arrive), ça expliquerait les échecs successifs tant que tu n'avais pas la date exacte.

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  2. Quelle histoire ! Dommage que cette mairie n'ait pas joué le jeu... enfin, cela t'a permis d'en savoir plus sur lui, car tu n'aurais peut-être pas recherché dans les recensements notamment !

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  3. Piégée et acculée cette mairie par ta ténacité et voilà enfin la légende vérifiée

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